" A-t-on le droit d'émettre des doutes sur une théorie scientifique "officielle", estampillée par les médias et les politiques? ". C'est par cette phrase que Claude Allègre, géochimiste et homme politique français, a introduit son article paru le 27 octobre 2006 dans une chronique de l'Express. Dans cet article, il a revendiqué son droit, en tant que scientifique, au doute. Sa remise en question de la théorie du réchauffement climatique et de l'effet de serre n'avait pas été bien accueillie par la communauté scientifique. Mais au-delà de son opinion sur la question écologique actuelle, sa revendication trouve son origine bien loin dans l'histoire. De Galilée à Darwin La « vérité » ; une proposition réfutable L'histoire de la science a connu, en effet, et connaît encore, plusieurs revirements qui lui ont permis d'évoluer et de ne pas faire du sur-place. Trois noms ont révolutionné cette histoire : Galilée, Darwin et Freud. Et si ces noms ont été retenus, c'est bien parce qu'ils ont réussi à ébranler l'édifice des certitudes.
Galilée : tu nous fais tourner... la terre !!! C'est Galilée qui, le premier, fait scandale en " décentrant " la terre et les convictions de son époque. Reprenant la doctrine établie un siècle plus tôt par Copernic, il fait la propagande de la théorie héliocentrique de l'univers. Il confirme, dans la stupéfaction générale, que la terre n'est pas le centre de l'univers et qu'en réalité elle tourne autour du soleil qui, lui, se trouve au centre et ne bouge pas. Il appelle ainsi à rompre avec le géocentrisme prévalant depuis Aristote et qui tenait farouchement la terre au centre de l'univers. Ces idées révolutionnaires pour l'époque lui attirent les foudres de l'Eglise et de la pensée scolastique : cette pensée qui se fondait sur la subordination de la vie intellectuelle à la vie religieuse en " conciliant ", quitte à lui forcer un peu la main, la philosophie et la théologie. Certes, Galilée n'était pas alors parvenu à apporter la preuve " expérimentalement " irréfutable de sa théorie. De plus, sous les menaces de l'Eglise qui le tenait pour hérétique et qui l'avait traduit devant le tribunal de l'Inquisition, il s'était trouvé acculé à abjurer ses convictions. Mais, en attendant que l'histoire lui donne raison, il aura réussi, au moins, à jeter le doute dans le temple de ce qui était considéré jusque-là comme un " dogme scientifique ".
De Descartes à Freud : l'homme perd la raison... Il faudra attendre l'avènement de René Descartes pour voir la recherche scientifique s'appuyer exclusivement sur la raison et se libérer du joug de la foi et du dogme. Le doute, désormais érigé en " méthode " de recherche, non seulement sauve la science et les scientifiques, mais encore proclame la suprématie de l'homme détenteur de la raison, conscient et maître à la fois de lui-même et de l'univers. L'on comprend donc, à partir de là, jusqu'à quel point, Freud, en enlevant à la raison la maîtrise de l'univers, a pu paraître " odieux " aux yeux de ceux qui, pendant si longtemps, avaient placé l'homme cartésien sur le piédestal de la conscience. Il n'est plus désormais qu'un sujet aux prises avec les forces obscures de son propre inconscient : cette part de lui-même qui lui échappe quasi totalement. Autre " décentration " qui a fait scandale... Cependant, malgré ce qu'on a pu reprocher à Freud quant à la scientificité de sa démarche et, notamment, à l'absence d'une validation expérimentale rigoureuse étendue sur un large échantillon, nul ne peut nier l'apport théorique et thérapeutique de ses théories. Et bien qu'elles tendent de plus en plus aujourd'hui à être remises en cause elles auront eu l'avantage de décentrer le sujet pensant en lui reconnaissant le droit à la faiblesse et à l'erreur et en proposant un autre visage de l'humanité de l'homme.
Darwin : nos ancêtres... les reptiles ! Mais le plus " scandaleux " de tous semble avoir été Charles Darwin. Sa théorie d'une évolution des espèces fondée sur le principe de la sélection naturelle a révolutionné la biologie et bouleversé les certitudes relatives à la sacralité de l'homme. Le monde apprend, au grand dam de la Genèse et de tous les mythes créateurs, que l'homme n'est plus cette créature déchue du ciel, divinement potelée comme une porcelaine fine et animée du souffle divin. Il partage finalement avec les autres espèces vivantes (dinosaures, primates, reptiles et autres animaux) des ascendants communs. Sa relative supériorité tient tout simplement à une meilleure capacité d'adaptation qui lui aurait permis de passer les différents caps de la sélection naturelle. D'ailleurs, et malgré le fait qu'elle ait suscité le plus de doutes, c'est à partir de cette théorie de l'évolution que le professeur Alain Prochiantz, titulaire de la Chaire Processus Morphologiques au Collège de France est parti pour présenter sa conférence intitulée " Eloge du doute scientifique et de la nécessité de le surmonter " et donnée à la Bibliothèque Nationale de Tunis. Les biologistes sont unanimes pour la considérer comme leur cadre de référence.
L'aspect évolutif de la théorie scientifique On peut penser que le modèle proposé par Darwin ne peut pas être considéré comme " scientifique " au sens où l'entend le positivisme d'Auguste Comte : une doctrine expérimentalement exacte et " dure ". Cela tient au fait qu'il est réellement impossible de ressusciter primates, dinosaures et mollusques pour pratiquer une telle expérimentation. Cette théorie serait-elle pour autant erronée ? Selon le professeur Prochiantz, la théorie de Darwin est bel et bien scientifique et " c'est la nature qui avait expérimenté pour lui ". Car même si les manipulations scientifiques sont impossibles, une masse volumineuse de faits naturels recueillis durant des dizaines d'années l'a prouvée et ne cesse de le faire. La scientificité d'une théorie ne tient donc pas exclusivement à sa dimension expérimentale. Elle tient autant à la vérité qu'elle contient qu'au doute qu'elle suscite. Elle émane de sa puissance évolutive et de son aspect à la fois limité et perfectible.
Le principe de réfutabilité : non au " dogme scientifique " ! Cette idée de perfectibilité de la science a été développée par des philosophes comme Karl Popper dans ce qu'il appelle d'abord la " falsifiabilité " et plus tardivement, pour éviter les contre-sens, la " réfutabilité ". Pour Popper, l'induction faite à partir de l'observation du monde ne suffit pas pour établir des lois générales, dans la mesure où une contre-observation peut invalider l'induction. De même, on sait fort bien qu'une observation générale de tous les phénomènes de l'univers est impossible. A partir de là, conclure à la " vérité " absolue d'une hypothèse générale est tout aussi impossible. C'est pourquoi il substitue à l'induction le principe de réfutabilité selon lequel une théorie scientifique n'est pas une proposition vérifiée, ni même vérifiable par l'expérience, mais une proposition réfutable (ou falsifiable)], de sorte qu'on ne peut affirmer qu'elle soit absolument ou mathématiquement vraie. Dans cette démarche, la théorie précède l'observation et admet d'être confirmée ou infirmée, selon un processus de remise en question qui la refonde au besoin. Les connaissances scientifiques croîssent alors et évoluent non pas sur un mode d'accumulation linéaire de certitudes amassées à travers l'histoire mais sur un mode dialogique et critique. Contrairement au dogme qui s'impose comme seul détenteur de la vérité parfaite et définitive et qui exclut toute perspective de réflexion autonome, la théorie scientifique se propose comme une voie possible de la vérité recherchée, comme une piste de réflexion. Elle est un hommage rendu au raisonnement et à l'Homme.