Le Temps-Agenecs - Après une vie passée à combattre Israël depuis l'exil, des centaines de vétérans du Fatah sont arrivés ce week-end en Cisjordanie, pour participer au Congrès de leur parti qui s'ouvre à Beït lahm aujourd'hui. Un retour doux-amer au pays qui n'est pourtant pas la Palestine indépendante de leurs rêves. Les "délégués de l'extérieur" arrivent de Syrie, du Liban et d'autres pays arabes, pour ce premier Congrès du Fatah en une génération. Pendant trois jours, quelque 2.200 délégués doivent renouveler les instances dirigeantes et adopter un nouveau programme, l'actuel datant de 1989. Leur premier choc aura été la route entre le poste-frontière contrôlée par l'armée israélienne et leur centre de convention de Bethléem : ils ont passé des implantations juives, des checkpoints militaires, et cet immense mur de béton séparant Israël de la Cisjordanie. "C'était dur pour moi de franchir un barrage contrôlé par les Israéliens, parce que ce sont des ennemis qui occupent notre terre. Et ç'a été encore pire quand j'ai vu les implantations et le mur", soupire Laïla Zughroub, 63 ans. Dimanche, des dizaines de délégués, la plupart ayant passé l'âge de la retraite, se sont retrouvés, un peu déphasés, dans le hall enfumé d'un hôtel de Beït Lahm. Certains appelaient des proches en Cisjordanie pour organiser des retrouvailles, d'autres discutaient politique. Et le fossé séparant délégués de la diaspora et cisjordaniens est rapidement devenu évident: ceux de l'exil sont plus intransigeants, partisans de la "lutte armée" contre Israël au coeur du programme du Fatah du Congrès de 1989. Les militants locaux ont, eux, gagné un pragmatisme totalement étranger à leurs homologues de l'exil: ils ont vécu l'échec de deux soulèvements en 20 ans, le dernier particulièrement sanglant. Du coup, le projet de nouveau programme reconnaît le droit à la lutte armée en théorie, tout en soulignant que le Fatah a pour objectif d'aboutir à un accord de paix avec Israël. Une formulation bien trop conciliante au goût de Khaled Abou Ousba, 49 ans. Né au Koweït, il était adolescent en 1978 lorsqu'il participa à l'un des attentats les plus marquants du conflit: onze combattants du Fatah débarquèrent par la mer à bord de canots pneumatiques et s'emparèrent d'un bus israélien, tuant 36 passagers avant d'être abattus ou arrêtés. Abou Ousba passa sept années dans les prisons israéliennes, fut libéré à la faveur d'un échange de prisonniers, et a depuis sillonné le monde arabe. "Tant que notre terre sera occupée et tant que les négociations ne vous apporteront rien, il n'y a pas d'alternative à la lutte militaire", estime-t-il. "Regardez ce que nous ont apporté les négociations: nous avons le mur, et de plus en plus d'implantations." Déjà, le simple fait qu'un homme comme Abou Ousba, en dépit de son passé militant, soit autorisé à entrer en Cisjordanie montre bien qu'Israël entend ne pas mettre de bâtons dans les roues du Congrès, censé renforcer son chef, le modéré président Mahmoud Abbas. Autre sujet particulièrement sensible pour les exilés, le "droit au retour": l'immense majorité des Israéliens refuse l'idée de voir revenir les Palestiniens partis en 1948-49 lors de la guerre ayant suivi la naissance d'Israël, jugeant que cela menacerait la nature juive de l'Etat d'Israël. Ils pensent qu'en cas de paix, ces réfugiés devraient s'installer dans le nouvel Etat palestinien. Une idée inacceptable pour Samir Abou Afesh, 59 ans, fonctionnaire du Fatah à Beyrouth. Sa famille a fui Jaffa, juste au sud de Tel Aviv, en 1948. Il refuse de renoncer à l'espoir d'y retourner. Comme de nombreux Palestiniens, il se plaint du traitement subi dans son pays d'accueil: de nombreuses professions sont interdites aux réfugiés, tout comme l'octroi de la nationalité libanaise, ou le droit à la propriété ailleurs que dans les camps de réfugiés. La délégation libanaise du Fatah va donc exiger des termes clairs sur la question des réfugiés, explique Abou Afesh, et ne se contentera pas d'une vague allusion à la nécessité de la régler. Les exilés se trouveront cependant en minorité au Congrès. Et, malgré leurs positions plus dures que celles des Cisjordaniens, ils ne pouvaient occulter leur émotion à remettre les pieds en "Palestine", où ils ont dîné avec Abbas, et se sont inclinés sur la tombe de Yasser Arafat à Ramallah. La plupart étaient contemporains d'Arafat, qui fonda le Fatah en 1965, et l'ont suivi dans son odyssée: de la Jordanie dans les années 60 au Liban dans les années 70 puis en Tunisie dans les années 80. Au dernier Congrès du Fatah, en 1989 en Algérie, c'était encore la diaspora qui donnait le ton. Les délégués de l'extérieur possèdent un visa d'un mois. Mais certains aimeraient rester, comme Laïla Zughroub. Malgré le mur, malgré les implantations, malgré l'occupation, plutôt que d'être une étrangère au Liban: "Ici, quelle que soit la manière dont vous vivez, vous vivez sur votre terre."