Voilà dix ans qu'elle n'était pas revenue au pays. Enfant, elle n'en avait gardé que le souvenir vague de certains visages, des images qui sont devenues floues et des odeurs quelque peu exotiques. Elle se souvient également d'un sentiment étouffant, celui d'être parente avec tout le village, avec des vieux et des vieilles qui l'embrassaient de façon appuyée, un peu rude... Aujourd'hui, elle a dix sept ans et elle revient au pays en vacances, avec une soif de vivre pleinement les folies de son âge, de profiter de ses vacances au pays. Mais ses parents semblent nerveux, peu enclins à la laisser s'éclater. Elle n'entend plus que des remarques du genre "t'habille pas comme ça, ne sors pas toute seule..." Ce soir pourtant, ils lui ont permis d'aller en boîte avec ses cousins. Elle est heureuse ce soir, elle sera libre ce soir... Sur la piste de cet hôtel chic, elle se trémoussait avec légèreté, mélangeant les ondulations lascives héritées de l'Orient, avec les gesticulations syncopées apprises en Occident. Culture hybride jusqu'aux bouts des doigts, où un vernis rose nacré tente de couvrir un rouge henné étiolé.. "Vas-y Karim, danse !" qu'elle lance à son jeune cousin intimidé avec un accent pur "beur", doublé de cet accent guttural typique de la campagne qu'elle a hérité de ses parents. Autour d'elle, quelques "indigènes" à l'esprit indigent tentent d'attirer son attention par des regards qui se veulent ravageurs et des mouvements de hanches amplifiés. C'est que la "beurette" a une réputation de fille facile. Grosse illusion. Elle est et elle restera sous l'emprise des traditions, de l'autorité familiale, jusqu'au mariage. Et en robe blanche, comme il se doit... Ce soir, elle le sait, c'est une escapade avec des cousins, qui commencent d'ailleurs à devenir nerveux à cause des "autochtones" de plus en plus envahissants. "Allez, on rentre et sans discussion !" Inutile de discuter. La fête est finie. Elle a appris ce soir que toute sa vie va osciller entre ouverture et interdits, entre traditions et désirs inassouvis. Ce soir la jeune demoiselle a grandi...