Le Temps - Le Caire Jamais de mémoire de journaliste un match opposant deux équipes nationales sœurs et amies n'a fait couler autant d'encre. Il faut dire que l'enjeu sportif était de taille, mais ce dernier a été relégué en fin de peloton par certains enjeux extra-sportifs. Tout a commencé bien avant le match et sur les colonnes des journaux égyptiens et algériens. Il faut dire que la presse dites « jaune » est une invention du pays du Nil. On se souvient tous qu'à chaque confrontation avec une équipe du Maghreb, nos confrères de la presse sportive égyptienne ne se limitent pas aux aspects sportifs de la confrontation mais « relèvent » leurs articles de quelques fragrances de scandales, souvent brodés par de talentueux scénaristes à la plume provocatrice. L'effet boomerang ne s'est pas fait attendre, la presse algérienne s'est vite saisie du « concept » et les manchettes caustiques ont inondé les kiosques à journaux. La partie de ping-pong ne s'est pas pour autant arrêtée. Pis encore, elle a été relayée par les chaînes privées égyptiennes et l'huile coula à flots sur le feu de la passion footbalistique, véritable opium des masses. La « Une » d'un journal algérien qui a poussé le bouchon de la dérision jusqu'à représenter le team égyptien en saltimbanques, a fait déborder le vase. Insultes, chauvinisme et vieilles rancunes ont miné les appels au calme. Choubir, ancienne gloire du football égyptien et présentateur télé à succès, a même fait le voyage à Alger beaucoup plus pour doper l'audimat de son émission que pour calmer les esprits. Les Egyptiens n'ont pas pardonné l'offense. Ils ont fait du match une question d'honneur. Même les Tunisiens qui descendaient, ces derniers jours à l'aéroport, flambant neuf du Caire, sont accueillis par des employés chauvins et dont l'amalgame ressemble à des menaces. Le seul tort de ces voyageurs qui ont toujours aimé le pays des Pyramides est d'être géographiquement proche de l'Algérie. Pourtant, nous aussi avions les soucis d'une qualification peu évidente. Bref, la tension s'est emparée du Caire et les gens ont tronqué leur légendaire amabilité contre une agressivité à l'encontre des ressortissants du Grand Maghreb. D'ailleurs, plusieurs artistes tunisiens domiciliés en Egypte ont couru faire allégeance à l'équipe de Chehata sur les plateaux télés et sur les colonnes des journaux. Le duel sportif a engendré une tension sociale que les plus modérés des Egyptiens n'arrivent pas à expliquer. Un grand journaliste de la place a même avoué qu'il ne reconnaissait plus les siens. La preuve, la veille du match, le bus de l'équipe algérienne a été le théâtre d'une rocambolesque histoire. La presse égyptienne prétend que les joueurs algériens l'avaient cassé de l'intérieur et se sont auto-mutilés tandis que les chaînes infos françaises ont montré, images à l'appui, de gros cailloux jetés de l'extérieur. Très dur dans ces conditions de se faire une idée objective. Autre incident dans un hôtel de luxe qui témoigne de la tension qui y régnait. Le chauffeur d'un haut responsable égyptien a dû en découdre avec les gardes du corps d'un membre d'une famille royale du Golfe. Les journalistes d'une chaîne qatari, présents sur les lieux ont refusé de témoigner à l'arrivée de la police et aucun d'eux n'a eu le réflexe - pourtant professionnel - d'en parler au public arabe. C'est vrai que dès qu'un prince se trouve au cœur de l'événement, la liberté d'expression ciblée et la déontologie préfabriquée passent à la trappe. Bref, le jour du match fut d'une immense tension. Le marché noir a fleuri et les rues se sont vidées. Même les touristes n'ont pas osé quitter leurs hôtels. Au coup de sifflet final, les rues sont devenues noires de monde et certains casseurs se sont défoulés sur les biens de leurs concitoyens. Un comble très rare lorsqu'il s'agit de fêter une victoire nationale. Plusieurs touristes se sont plaints d'avoir été pris pour cible même dans leurs chambres d'hôtels et la police égyptienne, pourtant connue pour son efficacité, a été débordée. Il est triste de voir où peut mener le fanatisme sportif mais le constat est clair... La presse a voulu sur-mobiliser la masse. Cette dernière est vite devenue incontrôlable. Le prochain match au Soudan s'annonce chaud à défaut du show !