Le marché de la ferraille a connu ses jours de gloire dans les années 80 et 90. A la fin des années 70, le nombre des ferrailleurs n'excédait pas la trentaine sur tout le territoire. Leur activité se concentrait plus particulièrement aux alentours des grandes villes du pays. Dans le Grand-Tunis, la région de Mégrine comptait près de la moitié des ferrailleurs du pays. Quelques années plus tard, le secteur connut un essor fulgurant, profitant en cela des hausses successives enregistrées dans le prix de plusieurs métaux (comme le fer, la fonte, le cuivre, l'aluminium) et dans celui des pièces automobiles. La libéralisation, dans les années 90, de l'importation et de l'exportation de la ferraille, a également servi le marché, lequel a aussi tiré bénéfice de l'embargo décrété alors sur la Libye. Les « casses » et les « super casses » se multiplièrent un peu partout à la manière du commerce de la friperie. Aujourd'hui, la prolifération des ferrailleurs est freinée et le secteur connaît un semblant de crise que chacun explique à sa façon. Nous nous sommes déplacés jusqu'à Henchir El Ihoudiyya où se concentrent plusieurs centaines de récupérateurs de ferraille. Là-bas, on considère que les affaires vont mal et que le métier rapporte à peine de quoi survivre. Badreddine BEN HENDA ------------------------------------------ M.Zouhair Mouelhi, ferrailleur de Henchir El Ihoudiyya : « La voiture populaire et les intrus fortunés » « Aujourd'hui, si j'arrive à payer mes employés et à nourrir ma famille, je m'estime heureux. Alors qu'il fut un temps où je gagnais plus de 300 dinars par jour. On est désormais à 20 ou à 30 % de notre chiffre d'affaires d'il y a 20 ans. Ceux qui résistent et continuent tout de même à réaliser des bénéfices ont un capital conséquent qui leur permet de réaliser de grosses affaires, mais le nombre des intrus s'élève chaque jour un peu plus. Il s'agit de gens fortunés qui investissent beaucoup d'argent dans la casse et ne laissent que les miettes aux ferrailleurs modestes que nous sommes. Quand une vente aux enchères se tient quelque part, ils raflent tout et comme ils ont les moyens de recycler la ferraille pour la revendre, ils ne sont jamais perdants. Loin s'en faut. Ajoutez à cela que notre clientèle habituelle a la possibilité aujourd'hui d'acheter une voiture neuve grâce aux crédits généreux accordés par les banques pour l'achat des voitures populaires. Oui, la voiture populaire figure parmi les premiers responsables de notre crise. D'abord, il faudrait attendre quelque temps pour que ces voitures vieillissent. Encore faut-il que le propriétaire d'une telle voiture veuille bien attendre cette échéance ; la plupart utilisent en effet leurs voitures neuves pendant une année ou deux puis la revendent à un bon prix pour s'en offrir une nouvelle et ainsi de suite. D'autre part, ce ne sont pas des voitures en métal récupérable. La plupart des éléments qui les composent sont fabriqués en plastique. Leurs pièces détachées sont de surcroît disponibles et souvent à moindre prix que chez nous. Le troisième facteur qui explique la baisse de notre chiffre d'affaires c'est l'interdiction depuis quelques années de l'importation de la tôlerie. Un réseau de contrebande s'était alors infiltré dans le marché et l'Etat a décidé sa fermeture suite à cette triste découverte. » B.B.H M. Fathi Jmel, ferrailleur de la rue de Turquie à Tunis : « Il n'y a pas crise. La ferraille c'est de l'or ! » « Ceux qui se plaignent de la baisse de leur clientèle et de leur chiffre d'affaires sont des gens paresseux qui veulent réaliser des bénéfices sans bouger de leurs dépôts ou de leurs baraques. Ils perdent des clients parce qu'ils s'y connaissent très peu en mécanique. Ils fournissent rarement le bon conseil et la bonne marchandise à leurs clients. Et quand celui-ci se rend compte de leur supercherie ou de leur ignorance, ils nient toute responsabilité dans l'erreur constatée. La voiture populaire n'a rien à voir dans la prétendue crise. Le plus simple c'est d'aller chez les bonnes adresses : les vrais spécialistes de la ferraille sont maintenant connus des automobilistes. Il faut être capable de bien renseigner le client, de connaître les moindres pièces de toutes les voitures et de tous les modèles. Si une donnée vous échappe, rien ne sert de bricoler. Le mieux serait de s'informer auprès de la maison mère. Cela m'est arrivé une fois avec une nouvelle marque de voiture. Pour en revenir au marché de la ferraille, je trouve qu'il a encore de l'avenir dans notre pays pourvu que les gens du métier consentent l'effort et le capital qui conviennent. J'ai aujourd'hui trois magasins qui marchent bien parce que je ne dors jamais sur mes lauriers. Moi je fais, plusieurs fois par semaine, le tour des ateliers de mécanique, je sillonne régulièrement les marchés hebdomadaires et les grandes entreprises à la recherche de ces précieuses vieilleries dont on ne sait plus estimer la valeur maintenant. Dans ma conception à moi, le ferrailleur est comme le bijoutier qui récupère de l'or usé pour le revendre plus cher ! »