Il ne faut pas rêver. La ville est belle… et pleine de dangers, comme dirait l'autre. S'y hasarder la nuit, même à une heure respectable, s'il en est, relève d'une gageure. Un risque à ne pas courir. Car son pouls battant, l'artère principale du centre-ville, l'avenue Habib Bourguiba, théoriquement le « territoire » le plus protégé, le plus vivant aussi de la ville de Tunis, a comme qui dirait perdu son âme. Et avec son âme, tout les attributs du vivant, puisque s'y promener de nuit, ne ressemble plus, loin s'en faut, à une partie de plaisir. Mais à une galère. Un exercice périlleux, qui a beaucoup à voir avec la « haute voltige ». Sans la beauté du geste, et encore moins sa magie. Qui plus est pour une femme. Qui n'a, paraît-il aucune légitimité à sortir toute seule la nuit, même pour aller voir un film, dans les très rares salles de cinéma qui font encore de la résistance. Aller boire un café si le cœur lui en dit, il ne faut pas y penser. Il faut impérativement qu'elle soit accompagnée. Par un homme bien sûr ! Sortir avec une, ou des amies ? Il ne faut pas y penser. D'ailleurs l'enjeu en vaut-il encore la chandelle quand le centre-ville est déserté et ne ressemble plus qu'à l'ombre de lui-même ! Avec quelques silhouettes « erratiques » qui le meublent comme des fantômes échappés d'une histoire qui fait peur aux enfants. Et pas qu'aux enfants. «Tunis chante et danse» ? Dans vos rêves les plus fous ou dans un documentaire de notre ami Frédo. Vous pouvez toujours vous le faire passer en boucles si la nostalgie vous titille. On dit que la nostalgie peut être autrement dangereuse. Dans ce cas de figure, elle est la bienvenue. Et on accepte, l'âme en paix de s'y frotter. Le temps d'une promenade dans une ville où il faisait bon vivre et sortir la nuit. Mais qu'est-ce qui s'est passé entre-temps pour que cette même ville nous devienne étrangère, au point de nous faire peur, et qu'on soit obligés de la fuir ? Comment expliquer ce sentiment de «frilosité», plus que justifié qui fait que l'on y réfléchisse à deux fois, avant d'y diriger nos pas si le cœur nous en dit ? Aurait-elle été frappée d'une malédiction, d'un méchant sortilège, ou d'une inexplicable léthargie à la source indéfinie, qui l'aurait étreinte comme une maladie pour en changer l'humeur et la rendre exécrable, au point que ses enfants ne la reconnaissent plus ? On ne sait. La seule certitude aujourd'hui, c'est que le centre-ville s'est transformé, lentement mais sûrement, en un antre du loup dont, aucun chasseur au cœur vaillant n'est parvenu à définir la trace, pour l'éradiquer enfin, et libérer ainsi la « belle » du mal qui l'habite, lui restituant sa quiétude et sa joie d'antan, afin qu'elle retrouve le sourire. Et ne se montre plus farouche. Un peu comme une histoire qui commence ainsi : il était une fois, une ville que j'aime…, et tout est bien qui finit bien. Pas de quoi noyer un chat, et de toute façon la nuit ils sont tous gris. C'est entendu et on n'en parle plus. Mais on aimerait bien qu'il y ait de la couleur justement. Un arc en ciel, un feu d'artifice au cœur de la nuit, et l'illusion que la peur n'a plus raison d'être. Des restaurants animés, des terrasses de café illuminées et bruyantes, des cinémas qui affichent complet, et des rues, vivantes et joyeuses, où vous ne risquez pas de vous faire agresser à tout va, puisque tous les passants qui y passent ont l'air si heureux. Tout comme votre « pomme » quoi ! Enfin, dans le meilleur des mondes. Pincez- vous, vous rêvez. Avisez -vous de sortir la nuit, et de parcourir quelque centaines de mètres dans le cœur « névralgique » de Tunis, et vous vous en mordrez les doigts. Illico -presto. Le remède ? Allez savoir… Il paraît qu'il faut soigner le mal à la racine. Vous ne voulez pas ? Quoi ? Paranoïaque ? Permettez que l'on vous retourne le compliment. De toute façon, ce n'est pas cela qui résoudra le vrai problème. Il n'y a pas de problème ? Tant mieux. Alors au -revoir. Et surtout dormez bien…