L'abandon de la notion de dictature du prolétariat répond-il à des nécessités tactiques ou bien s'inscrit-il dans une nouvelle stratégie ? Dix jours après la fin du XXIIe congrès qui a vu les communistes français renoncer à l'un des trois principes de base de l'idéologie marxiste-léniniste avec l'internationalisme démocratique, il est difficile d'apporter une réponse univoque. Dans l'attitude de Georges Marchais, puisque c'est lui le véritable promoteur du "virage communiste" il y a certainement une part de calcul. L'objectif des communistes étant de rassurer, il est indubitable que le P.C.F. a cherché à se débarrasser d'une notion qui a une connotation péjorative auprès des français. Mais il est tout aussi indubitable que le P.C. a changé. Et profondément. Le parti communiste a cessé d'être un parti révolutionnaire. Rompant avec les schémas marxistes de la conquête du pouvoir par la force, il préconise une alternative démocratique au régime c'est à dire l'instauration d'un socialisme où la classe ouvrière jouerait certes le rôle d'avant-garde mais où les autres catégories ne seraient pas exclues. Mais pour que l'instauration d'un socialisme démocratique soit possible il fallait en bonne logique que la voie de passage vers le socialisme soit démocratique. D'où l'abandon de la notion de dictature du prolétariat, concept incompatible avec les objectifs majeurs des communistes : la conquête du pouvoir. La décision du XXIIe congrès apparaît donc comme la conséquence logique des choix faits depuis le début des années 60 par le P.C.F. de même qu'une tentative de crédibiliser auprès du peuple français l'alternative démocratique qu'on lui propose. L'autre changement du P.C. réside dans ses rapports avec l'Union Soviétique. Les communistes français n'hésitent plus à critiquer la "première patrie du socialisme" (voir l'affaire Plioutich) à déclarer que "ce qui est bon pour l'Union Soviétique n'est pas forcément bon pour le P.C.F". Cette nouvelle position du P.C.F. est très significative. Qu'un parti qui, il n'y a guère se déclarait "le fils aîné de l'Union Soviétique" adopte une telle attitude donne la mesure des mutations profondes qui sont intervenues au sein du P.C.F. Mais le problème maintenant se pose de savoir qu'est-ce qui a rendu possible un tel changement ? Par quel cheminement, le parti le plus stalinien de l'Europe Occidentale en est arrivé à opérer cette "révision déchirante". Plusieurs raisons expliquent à notre avis la mutation du P.C.F. Le parti s'est désacralisé. La formule "le parti a toujours raison" ne semble plus être de mise chez les militants de la base. Les désaccords ne se règlent plus par des démissions pour "raisons de santé". Garaudy, Pierre Daix viennent s'expliquer devant la base. Ils n'hésitent pas à lancer les plus graves accusations contre le "groupe Marchais" quitte à être exclus (c'est ce qui s'est produit). Ce nouveau climat inexplicable a priori quand on sait que le parti est régi selon les normes étroites du centralisme démocratique peut être interprété ainsi : le maintien d'une discipline rigide au sein du parti est incompatible avec l'esprit de tolérance qui est la marque des sociétés post-industrielles, les sociétés permissives. -Le départ de la vieille garde stalinienne Benoît Frachon, Jacques Duclos... ou l'affaiblissement de leurs positions : Roland Leroy, Etienne Fajon. -L'attitude du PC est liée aussi à sa rivalité avec le P.S. l'autre grand parti de l'Union de la Gauche. Devant la poussée du PS, le P.C. craint de devenir un jour une simple force d'appoint de l'Union de la gauche. En jouant sur les craintes que le P.C. inspire toujours aux Français, le mouvement de M. Mitterand a pu renforcer sa position. Le P.C. espère donc, en renonçant à la dictature du prolétariat apaiser les craintes des Français et partant arrêter la progression du P.S. La décision du XXIIe congrès apparaît ainsi comme une conséquence de la lutte d'influence à laquelle se livrent les deux principales formations de la gauche dans le cadre de leur "alliance conflictuelle". -Après s'être contenté d'exercer une fonction purement "tribunitienne" selon l'expression du professeur Lavau, c'est-à-dire se limiter à se faire le porte-parole des laissés-pour-compte de la société capitaliste, le P.C. veut entrer dans "l'aire du pouvoir", devenir un parti de gouvernement. Aux yeux des dirigeants communistes, l'abandon du concept de la dictature du prolétariat doit faciliter l'insertion du P.C. dans le jeu politique français. Il reste que le P.C. s'il veut faire la preuve de sa respectabilité doit encore aller plus loin cesser par exemple de se considérer comme le seul parti de la classe ouvrière. C'est à ce prix que le "socialisme aux couleurs de la France" deviendra crédible.