J'ai eu à consulter une petite collection de quelque soixante-cinq œuvres et je me suis pris à douter très sérieusement de la peinture tunisienne depuis l'Indépendance. Il y a certes quelques œuvres qui vous obligent à vous arrêter parce que quelque chose en elles interpelle votre œil ou votre imaginaire mais la majorité d'entre elles, demeurent d'une naïveté quasiment primitive. N'entendez surtout pas par là, la naïveté de la démarche et de l'expression artistique des peintres représentés. Ce qui relèverait plutôt du mouvement plastique que l'on connaît mais la naïveté des peintres et de nous mêmes pour avoir cru que ces œuvres pourraient aisément transcender l'espace et le temps. Hélas, elles demeurent banalement statiques. La collection débute (et c'est un choix individuel et non objectif puisque c'est moi-même qui l'ai fait) par une peinture de Brahim Dahak (Maternité) une bédouine sans fioriture tenant un bébé dans son giron et présentant la paume de sa main les doigts bien ouverts. Brahim n'est ni naïf ni traditionaliste. Dans la course à l'exclusivité de la représentativité de l'image du tunisien et de son pays qui était le leitmotiv de rigueur pour beaucoup de « Pacha » de la peinture en ces temps-là, Dahak s'est démarqué par la réalisation de sa plus belle œuvre qu'est « la geste hilalienne » (gravures). Sa peinture , quant à elle, frise, sans jamais y sombrer un réalisme aux formes et aux limites rondement posées mais fuyantes. Les personnages de Brahm ne sont pas au service d'une vision post-orientaliste mais s'imposent d'eux-mêmes comme une réalité présente, enracinée dans le temps et la terre et agissante. Une toile de Yahia Turki (Danse) représente cinq musiciens et deux danseurs, costumes d'époque, formes un peu trop appuyées surtout au niveau des extrémités tels que les doigts et les pieds, carrelage, tapis au mur sont cloués ici sans être ni trop fignolés ni suggérés. Cela relèverait-il d'une maîtrise hésitante dans l'écriture de ce peintre dont on a vu des œuvres (telles que les deux danseuses) beaucoup mieux élaborées. On enchaîne avec « Dans la rue » de Ammar Farhat. La Médina est au loin, presqu'occultée, de même que les costumes traditionnels. C'est l'époque ou les dames commençaient à s'habiller à l'européenne avec robe, sac à main et manteau à col en fourrure . Ce sont elles qui ouvrent le bal, dictent leur suprématie sur la rue. L'homme qui suit derrière porte un costume nœud-pap. La Tunisie en marche vers la modernité. C'est finement expressif sans trop de dégât côté matière. Léger à souhait mais on s'attarde un peu parce que c'est Ammar et puis l'on passe. Où ? « Au souk des parfums » avec Ali Guermassi et là, qu'on le veuille ou pas, ce peintre du « Marché de gros », ce marchand de nourritures terrestres avait, un style à nul autre pareil. Ce tableau est d'une gaieté alléchante. Tout y est à sa place, en pointillé, en petits cercles, en arcades ou en colonnes bariolées, Guermassi n'a pas eu la chance qu'il méritait de son vivant. Il serait temps que cet homme affable, pudique et sincèrement amical, reçoive l'hommage qu'on lui doit en rassemblant ses œuvres et en les exposant. « Le derviche » de Zoubeir Turki qui lui succède, relève plus de l'illustration de conte que de l'œuvre picturale. Bien sûr que tout le monde s'accorde à dire que Zoubeir avait un dessin qui en jetait, sûrement mais côté, peinture, franchement, il faut réétudier son œuvre. Safia Farhat suit avec une aquarelle représentant une femme en méditation. C'est un portrait donc et cette dame qui marqua plusieurs génération d'étudiants de Beaux-Arts mérite toujours qu'on la salue puisque tous ces enfants l'aimaient et gardent un souvenir très joyeux de son époque. Paix à son âme ! Rafik El Kamel enchaîne avec « La kharja de Sidi Bou Saïd ». C'est du Rafik El Kamel ! Idem pour Mahmoud Sehili avec son « paysan ». Rien à signaler si ce n'est que c'est du Sehili. Et ne rigolez pas sous cape, maintenant. Je suis très sérieux. Voici un obstacle majeur à la continuité et la légèreté de mon voyage à travers cette collection. Un « sans titre » du grand Bouabana. Ça t'empêche de respirer. Tes circuits sont grillés. C'est de la très haute et de la très belle écriture. Je n'arrête pas de le répéter. Je sais que beaucoup n'aiment pas la peinture du Maître, je les comprends. Il a tellement produit et fourgué d'ivraie et de grains qu'on l'on est en droit de le renier. Mais ses œuvres majeures, celles qui ouvrent, clôturent ou ponctuent ses démarches et les principales périodes de sa créativité, celles-là sont époustouflantes. Et ce premier « sans titre » suivi d'un second, sont des pures merveilles. Une composition et un monotype du grand Néjib Belkhoja. Valeur sûre donc rien à rajouter. Ensuite, j'enchaîne à la file quatre Aly Bellagha, trois Jellal Ben Abdallah, trois Khelifa Cheltout, deux Hédi Turki, deux Nja Mehdaoui et je m'arrête. Voilà trois Adel Megdiche : « Le musicien », « sous le signe » et la dame au spectre ». Il faut toujours s'arrêter devant une œuvre de Megdiche. Au-delà ou en dedans de ce qu'on voit, il y a l'histoire, la narration de conte. Trois Baker Ben Fraj, ensuite, ce peintre qui a fait parler de lui dans les années 90 et qu'on a perdu de vue depuis. Un autre « sans titre » de Bouabana. Je ne vous en dis rien, cette fois. Deux Ali Znaïdi, deux Mohamed Zouari, deux Amor Ben Mahmoud. Ces œuvres se défendent avec plus ou moins de force. Trois Bouaziz, deux Souabni, deux Mounir Ltaïef, un Nabil Douik, un Bady Chouchane, un Sadok Mejri, un Tahar Mimita, un Mahdaoui Mohamed, un Mohamed Sehli, un Marzouk H, un Mohsen Tarifa, un Mongi Goucha, un Bghouri, un Aïche, un Brari Azzedine, un Noureddine Limam (enseoleillé) un Abdelmalek Allani, un Hayet Bouzayène et, pour clore le tour, un Raja Mohamed. Cette collection appartient à un organisme de l'Etat. C'est hétéroclyte mais elle vous a, j'espère, donné une petite idée sur ce qui méritait d'être signalé. C'est subjectif mais qui ne l'est pas. Et puis comme disait l'Autre « Qui suis-je pour critiquer ? » Hechmi GHACHEM Arts plastiques