Le scénario est la pièce angulaire dans l'architecture d'une œuvre cinématographique. On ne peut pas parler d'un bon film s'il n'y a pas à la base un bon scénario. Nous sommes donc dans l'obligation de traiter du problème de l'écriture. Qui écrit ? Et quoi ? Le réalisateur devrait-il écrire lui-même ses scénarii et vice versa le scénariste réaliser ses films ? C'est, à mon avis, la réponse à ces questions qui peut faire avancer notre cinéma et clarifier des confusions dans notre vision de la création filmique. Une situation anormale où l'auteur scénariste n'a pas place (ou peu) en tant que tel dans cette conception du monde du cinéma ? De par l'expérience personnelle de plusieurs auteurs scénaristes, dans leur quête de proposer, un scénario à un producteur pour le soumettre à son comité de lecture, on apprend et on comprend qu'il est rare (très rare) de trouver le producteur qui daignerait recevoir votre manuscrit et lui consacrer quelques minutes pour la lecture ? Ce n'est pas par manque de temps ou de disponibilité mais parce qu'on se trouve devant une situation telle qu'une majorité de cinéastes portent plusieurs casquettes en même temps (auteur-scénariste-réalisateur-producteur…), eux-mêmes auteurs de leurs propres fictions. Ils sont logiquement et obligatoirement amenés à privilégier leurs propres scénarii dans le cadre d'un projet personnel et personnifié présenté en vue de l'obtention de la fameuse subvention de l'Etat. Un calcul comptable simple (Moi d'abord !), arguant du fait que cette subvention est d'une insuffisance telle qu'il est judicieux de se la réserver soi-même et ne pas l'éparpiller entre plusieurs intervenants ? Malheureusement cette approche ancrée et tolérée depuis quelques années et des procédures administratives de sélection adaptées à cet état des choses, ont nui largement à l'acte créatif. Les meilleurs réalisateurs ne sont pas pour autant les meilleurs auteurs scénaristes. Par conséquent, l'objectif de certains n'est plus : faire le meilleur cinéma mais l'important c'est de tourner un film pour justifier et solder la subvention et les éventuelles aides. L'œuvre cinématographique porte le nom d'un seul, certes, mais il n'empêche que c'est un acte collectif. Le Cinéma, comme d'autres arts, reste tributaire de la conjugaison, la combinaison et la somme de plusieurs génies. Dans cet état des choses (cinéma et télé) les auteurs scénaristes sont acculés à ranger leurs manuscrits au fond d'un tiroir et de se soigner définitivement de ce mal, ou de se transformer (s'ils en sont capables), eux aussi, en « phénomène » à plusieurs têtes pour porter toutes les casquettes puisque le Ministère ne reconnaît et ne traite qu'avec ceux qui se présentent en tant que société de production. C'est logique mais que faire des artistes (les solitaires de l'écriture) qui n'ont pas ce statut ? Le monde cinématographique, si exigu et financièrement limité, est devenu comme une ruche renfermée sur elle-même, sous perfusion artificielle continue. Elle produit, en final (excepté très peu de cas) un mauvais miel et s'en félicite avec, parfois, la complaisance de certains médias ( presse écrite, télévision, radio…) amplifiant le moindre détail positif pour nous faire croire à la réussite, presque planétaire, de tel ou tel film et le génie incontestable de son producteur réalisateur parce qu'une salle quelque part à Tunis, lors d'une manifestation tenue une fois tous les deux ans, était comble ou qu'un festival régional de «3ème catégorie » l'a invité ou lui a offert une quelconque mention. On a comme une impression que l'on essaye, dans cet état de médiocrité, de nous faire avaler un leurre : celui de nous présenter le produit de certains cinéastes comme un exploit plus que satisfaisant ? Non, réveillons-nous car, ni l'autosatisfaction exagérée ni l'autosuffisance qui frise chez certains l'indécence ne peuvent en aucun cas fabriquer un label. Le Cinéma tunisien reste à construire tant qu'on n'a pas atteint le niveau d'artistes d'autres pays ( sud américains, iraniens, roumains et d'autres…) qui ont pu réellement ouvrir les portes des grands festivals pour forcer l'estime des critiques et inscrire leur propre label dans le registre des grandes œuvres du cinéma… Le monde change et notre public avec, alors que le créateur (réalisateur-scénariste)), dans son écriture de scénarii continue à porter, allégrement, les mêmes lunettes teintées de stéréotypes idéologiques et thématiques dépassés et inadéquats. Notre cinéma stagne car nous discourons démesurément sur des exploits antérieurs et futurs imaginaires beaucoup plus qu'on ne fait du cinéma. On nous ressasse que le cinéma (scénario) doit traiter du local tunisien pour rester tunisien ? Une vision réductrice et autarcique qui confond documentaire et fiction ? Notre cinéma (la fiction), au contraire, doit rester tunisien par son style, sa singularité, son approche esthétique, sa magie et sa beauté… Notre local spécifique n'est pas une fatalité (surtout dans l'art) il est lui aussi en mouvement et l'artiste doit le conjuguer avec celui des autres peuples et l'articuler avec ce qui touche les autres hommes dans leur humanité en dehors de la géographie de l'enfermement et de l'auto-exclusion. C'est ainsi qu'on peut inscrire notre création culturelle dans l'universel tout en lui gardant son authenticité. Hamady ZERAMDINI