Les Assurances COMAR ont organisé vendredi dernier un intéressant débat sur le roman dans le cinéma tunisien'' autour d'une table ronde ayant réuni cinéastes, romanciers, universitaires et journalistes. Il faut reconnaître que COMAR fait beaucoup pour la promotion du roman tunisien : d'abord les prix littéraires décernés chaque année depuis treize ans déjà, puis les débats organisés, avant et après l'évènement, sur la place que doit occuper le livre dans la vie culturelle du pays. Mais il faut reconnaître aussi que vendredi dernier, certaines vérités ont été dites, et d'autres tues, négligées ou simplement éludées. La question centrale était donc de savoir si le cinéma s'intéresse quelque peu à la production littéraire et s'il lui arrive jamais de porter le roman tunisien à l'écran. Ont été cités, à l'ouverture du débat, quelques exemples de romans ayant pu faire l'objet, par le passé, de films, tel Au pays de Tararanni'' de Ali Douaji et réalisé par Hammouda Ben Halima. Il semble que le dernier en date était, en 1996, un film de Ali Laâbidi tiré d'un roman de Béchir Khraief. Quoi qu'il en soit, très peu trop peu ! de romans ont eu cet insigne honneur'' d'intéresser les réalisateurs tunisiens. Ce qui a fait que le débat a failli s'enliser outre mesure à propos de la technique du scénario, les cinéastes présents ayant brillamment disserté sur cet art que personne ne maîtrise en dehors d'une poignée de réalisateurs de cinéma, et à propos du roman tunisien qui ne pourrait être scénarisé, ou, s'il est très valable, pourrait être trahi quelque part dans son âme, les deux écritures (cinématographique et romanesque) étant totalement différentes. Un constat s'il en est qui a fait dire à une romancière qu'attendu ce mur séparant le roman du cinéma, le mieux serait peut-être que chacun garde son prestige'' et n'ait pas à marcher sur les plates-bandes de l'autre. Oui, mais ce serait démissionner, abandonner la partie. Gifle et paire de gifles ! Au cours de ce débat, on s'était attendu à tout, sauf !... Sauf à ce que les deux cinéastes présents (deux seulement) assènent à l'assistance une véritable gifle que, curieusement, personne n'a paru ressentir. Les deux réalisateurs ont, chacun, parlé de sa propre expérience ayant porté sur un projet d'adaptation au cinéma d'un roman égyptien ! C'est clair donc : non, le roman tunisien n'est pas intéressant du tout ; oui, le roman égyptien est très intéressant. Comme c'est beau d'aller lécher la patte de l'étranger et de tourner le dos à la main du concitoyen. En tout cas, les Egyptiens ont dit non, les deux projets étant mort-nés. Et voilà un grand universitaire ni romancier et encore moins cinéaste de balancer, le plus froidement du monde, un jugement pour le moins surprenant : «En fait, nous n'avons ni un bon cinéma, ni de bons romanciers». Autrement dit, sur les 642 romans tunisiens écrits à ce jour (le chiffre a été présenté par un connaisseur, semble-t-il), pas un n'est bon, et sur quelque 70 films réalisés à ce jour, pas un n'est valable. Que faire dans ce cas ?... On n'y voit qu'une seule solution : interdire la culture du pays et importer la culture de l'Autre. J'y suis, j'y reste Il est fort temps, aujourd'hui, de dire l'autre vérité, celle que personne ne veut écouter. Même si c'est un peu hors sujet, on va, une seconde, parler de la Télévision tunisienne. Le feuilleton tunisien est né en 1990. C'est une très bonne chose. Mais l'auriez-vous remarqué ? De 1990 à ce jour, ce sont régulièrement assidûment les mêmes noms de réalisateurs qui reviennent et se relaient tous les ans. Systématiquement. Raison invoquée : il n'y a pas de bons scénaristes en dehors de cette première génération (remarque : dans notre pays, le scénariste est souvent lui-même réalisateur). Il semble que chaque année la Télévision fait appel aux candidats désireux de présenter un projet de feuilleton. Mais arrivés à la commission de lecture, les scénarios vont vite roupiller dans les tiroirs, pour n'être acceptés que ceux des Fellini de la Télévision tunisienne. Une chasse gardée, oui. C'est le mot, et pas un autre. Revenons au cinéma. Comme toujours et partout où ils vont, les cinéastes tunisiens se plaignent de l'insuffisance de la subvention allouée par le ministère de la Culture, allant jusqu'à déclarer que le film tunisien naît dans la douleur'' (sic). Insuffisance d'argent d'un côté, et douleur de l'autre. Mais alors, comment se fait-il qu'ils reviennent tous les trois ou quatre ans avec de nouveaux projets, eux et toujours eux ? On a rarement vu un film signé par quelqu'un d'autre. Toujours eux. A la limite, on est tenté de dire : tant mieux pour eux et grand merci à eux qui, malgré la douleur, nous font des films. La question devrait plutôt être posée à la commission de lecture du ministère de la Culture : il n'y a vraiment qu'eux qui sachent écrire un scénario, jamais quelqu'un d'autre ? Au débat de vendredi dernier, une jeune étudiante à l'ISAD a demandé : «Et nous ? Quand est-ce qu'on nous donnera une chance ?». Mais non. Non Mademoiselle : à vous et aux jeunes comme vous, on dira toujours que vos scénarios sont nuls, et la porte se fermera toujours à vos nez. Parce qu'il y a les Scorsese tunisiens qui préfèrent sortir dans la douleur leurs films plutôt que de laisser l'ombre d'une chance aux jeunes. L'un des réalisateurs présents a déclaré avoir trois scénarios sous la main et qui attendent d'être tournés un jour. Trois !... A supposer que ses collègues aient, chacun, un seul scénario sous la main, cela veut dire que les jeunes devront attendre au moins quinze ans encore avant de se voir offrir une petite chance. Et la Tunisie de demain ? Chasse gardée à la Télévision, monopole au cinéma, et la Tunisie culturelle de demain, qui la fera ? Est-ce comme ça qu'on prépare la Tunisie de demain ? Est-ce ça la Tunisie de demain à laquelle pense et exhorte tous les jours le Chef de l'Etat ? A toujours claquer la porte au nez des jeunes et à toujours leur dire que leurs travaux sont nuls ; à toujours dire que le roman tunisien est nul ; à toujours dire que le cinéma tunisien est nul ; eh bien Eh bien, la Tunisie de demain devra compter sur la culture de l'Autre.