La publicité dans les médias tunisiens est apparue relativement tard, car dans les années 1970, le pouvoir en place refusait le principe même de présenter à la télévision des produits que les plus démunis ne pouvaient acquérir. Un argument massue qui n'a pas résisté au passage des ans et à l'évolution naturelle des mentalités et surtout des moyens du Tunisien… Un peu d'histoire d'abord. Il y a 32 ans, soit le 7 mai 1973, naissaient les deux premières agences de publicité tunisiennes : « Promoventes » et « Media Service », après des années de monopole d'Etat qui ne s'est pas révélé concluant. L'activité publicitaire a connu divers statuts avant d'aboutir, à présent, à un réel essor, notamment grâce à internet, où les agences poussent comme des champignons. Beaucoup d'argent Après cette première génération, il faudra attendre le mois de décembre 1987, quelques semaines seulement après le Changement, lorsqu'à l'initiative du Président Zine El Abidine Ben Ali, l'Assemblée Nationale, vote dans le cadre de la Loi des Finances pour l'année 1988 l'autorisation pour la Radio Télévision Tunisienne de percevoir au titre de ses recettes des redevances publicitaires. Une décision qui marquera, en fait, la naissance de la publicité moderne en Tunisie. Les chiffres ensuite : plus de 133 millions de Dinars ont été investis dans la publicité en Tunisie en 2009, soit près de 5% de plus que l'année précédente. A titre d'exemple, il faut noter que le marché de la publicité dans le monde a dépassé les 450 milliards de Dollars pour l'année 2009. Avec 73 millions de Dinars, la télévision accapare plus de 50 % de cette somme, partagée entre Tunisie 7, Hannibal TV et Nessma TV. De son côté la publicité à la radio dépasse les 21 millions de Dinars, l'affichage, la presse écrite et internet se contentant respectivement de 12,8 millions de Dinars, 25,6 millions et 900 000 Dinars. Côté annonceurs, les opérateurs télécoms et les géants de l'industrie agroalimentaire et les banques occupent les premières places, avec plus de 50 % des investissements. Mais comment le Tunisien reçoit-il ces spots et ces slogans ? Le premier constat, c'est que « le langage devient populaire, vulgaire même… », selon les propos d'un ancien réalisateur de télévision qui met en scène de nombreux spots depuis des années. Pour lui, « après des années d'exigence pour produire des spots et des slogans originaux, on est en train de tomber bien bas, avec parfois des termes empruntés aux voyous et des jeux de mots si vulgaires, qu'ils ne devraient pas être exposés sur des affiches dans nos rues… » Il est vrai que des mots inattendus s'étalent sur les murs des grandes villes et que des onomatopées ridicules pénètrent dans les foyers à travers la radio et la télévision. Un humour douteux et des slogans trop familiers, que bon nombre d'enfants reprennent en chœur à la maison, dans la rue ou des cours des écoles, sans avoir une idée précise sur leur contenu. Il y a les jeux de mots oiseux, les sous entendus malsains, les bruits incongrus. Les exemples ne manquent pas : il y a cette publicité pour du Zgougou publiée sur les colonnes des journaux à l'occasion du Mouled « Mnokki wendhif whadher lil estaâmal » qui prête à confusion. Le pire est ce slogan plein de sous entendus : « Fetha sghira et motâa kbira » pour un yaourt. Difficile de croire que ces slogans grossiers ont été créés en toute innocence… Personnages idiots Côté spots télévisés, il y a ces grimaces ridicules et surtout l'exploitation de l'image d'acteurs qui interprètent des personnages idiots dans certains feuilletons. Qu'ils jouent les idiots dans une fiction, ça passe, mais qu'ils deviennent une référence pour les produits de consommation, c'en est trop… Un enseignant en communication estime que c'est « dommage que certaines marques appâtent des célébrités avec de grosses sommes et parviennent à les ridiculiser avec des slogans et des attitudes peu conformes à leur image. » Pour lui, « ce qui manque le plus à nos campagnes publicitaires, c'est un bon scénario et des slogans de haut niveau. Mais la plupart des agences de pub se laissent aller à la facilité, prétendant toucher ainsi toutes les couches de la société. » Un calcul erroné selon ce spécialiste, car « à long terme, le public se lasse de ces jeux de mots « boudourou » pour rester au même niveau que ces spots ! » Les jeunes interrogés, eux ont des avis partagés. Nadia, étudiante en journalisme se dit « déçue par les spots et les slogans tunisiens, surtout quand on voit les pubs d'autres pays. Tout cela manque de créativité et de spontanéité... On prend les acteurs des feuilletons de Ramadhan et on leur fait dire n'importe quoi ! Ils deviennent alors ridicules… » Son camarade de classe reconnaît « je ne regarde que rarement les chaînes tunisiennes et ce que je vois ne me donne pas envie de continuer à regarder ou d'analyser ces spots, d'étudier leur évolution ou de critiquer leurs qualités et leurs défauts. Tout ce que je peux dire, c'est que je ne me retrouve pas dans ces personnages fades et sans relief qu'on nous présente comme étant des modèles des jeunes tunisiens… Ils ne me représentent pas. » Ce que la plupart de nos jeunes interlocuteurs rejettent, ce sont « ces petites familles avec des propos gentils et des têtes d'Européens et une maman qui ressemble à Alice au pays des merveilles. Ces spots publicitaires paraissent déconnectés de la société tunisienne, à leurs yeux. Un médecin s'insurge contre les produits présentés sans aucune précaution : « on fait de la pub pour des boissons sâturées de sucre, pour des biscuits gras, des barres chocolatées présentées comme des repas complets et tout cela est dangereux pour la santé. Pourquoi n'y a-t-il pas un contrôle plus strict, avec l'avis de diététiciens ou de nutritionnistes ? » Un sociologue dénonce « les stéréotypes que véhiculent certains spots avec des personnages de paysans rudimentaires avec un accent à couper au couteau et des « beldia » fils de famille, gâtés, voire maniérés. Ce choix contribue à approfondir le malaise et la scission entre les habitants des villes et des campagnes. Et ces stéréotypes ne servent pas le pays. » Le nombre de spots diffusés dans un laps de temps très court est également de nature à déranger bon nombre de téléspectateurs. Une opinion partagée par les plus âgés et selon un père de famille dont le seul loisir est la TV « s'il y a trop de spots, je zappe. Les annonceurs devraient penser à cela car s'ils exagèrent, ils perdent des téléspectateurs. » Et de rêver d'une chaîne qui ne diffuse pas de pub…