« J'adore écouter Anouar Brahem… et La musique, pour les indiens, est un don sacré de Dieu » Subjugué dans ses débuts par la musique indienne et plus particulièrement par le sitar, le musicien français Nicolas Delaigue a été initié par les musiciens Pandit Ashok Pathak et Patrick Moutal ainsi que par le sitariste réputé Indrajit Banerjee. Parallèlement, il a fait des études de musicologie à l'université de Saint-Etienne et a obtenu un Master d'ethnomusicologie. En 2004, il s'est produit pour la première fois en Inde et depuis, ses prestations sont très appréciées et régulièrement retransmises à la télévision locale. Aujourd'hui, il enseigne les techniques du sitar et le rags (répertoire indien) et se produit régulièrement en concert dans toute la France et à l'étranger. Dans cette interview réalisée avec Nicolas Delaigue, lors de son récent passage à Tunis, nous parle de son attachement à la musique indienne et de son parcours exceptionnel. Le Temps : Vos débuts avec le sitar correspondent apparemment à un coup de foudre pour cet instrument indien… Nicolas Delaigue : Oui, exactement, ce fut une rencontre foudroyante. Je me rappelle en particulier d'une émission radio de France culture enregistrée par un ami. Deux artistes étaient présentés : une chanteuse et un sitariste. La musique, en particulier le récital de sitar, me bouleversa ! J'eus la sensation d'avoir trouvé là une expression qui était si proche de mon idéal artistique ! Même si de nombreux détails techniques m'échappaient, je compris instinctivement dés le début l'esprit qui était véhiculé par cette musique. L'instrument en lui-même était, de par son apparence et sa sonorité, si attrayant, si complexe et mystérieux… il ne m'en fallait pas plus pour que je décide autour de mes dix-huit ans de me consacrer à l'étude du sitar et de la musique hindoustanie et rapidement je partis en quête d'un maître. J'ai pu rencontrer Pandit Ashok Pathak qui réside en Hollande mais la distance qui nous séparait ne me permit pas de suivre son enseignement régulièrement. Ainsi, je reçus une formation pendant de nombreuses années assurée par Patrick Moutal, musicien et musicologue excellent, élève lui-même de Pandit Balaram Pathak (le père d'Ashok). Quelle réception fut réservée à vos concerts en Inde ? En Inde, les gens sont toujours ravis lorsqu' un étranger s'intéresse et apprécie leur culture. Mais ils savent bien qu'il est rare de le voir maîtriser leur art classique car cela demande un travail très dur et une immersion totale dans la musique même pour un autochtone. Ainsi, lors de ma première venue en Inde, lorsqu'ils ont pu constater l'intérêt et le sérieux que j'ai attaché à la pratique du sitar, ils m'ont énormément soutenu. Un de mes concerts, qui avait lieu à Nashik en 2004, a été retransmis sur une chaîne locale. Souvent les musiciens et amis que j'ai rencontré en Inde, proposaient une réponse typique pour expliquer mon attachement à leur musique alors que je n'ai pas été bercé dans la culture de leur pays : la réincarnation… Il semble que vous n'êtes pas uniquement charmé par le sitar mais par toute cette civilisation de l'Inde qui n'a pas encore dévoilé tous ses mystères… C'est le sitar et la musique qui m'ont amené à découvrir cette culture et j'ai ainsi pu rencontrer des artistes ou amateurs de musique en Inde qui sont devenus mes amis. J'ai aussi des amis indiens vivant en France et c'est toujours un plaisir quand ils me préparent d'authentiques plats indiens. J'adore la cuisine indienne, un autre des joyaux de l'Inde ! S'agissant de la civilisation de ce pays, on est pris par la profondeur et la signification de la tradition et des rituels. On ne peut qu'être frappé de voir comment cette tradition se perpétue malgré la présence de la plus haute modernité technologique. Mais j'ai encore bien des choses à découvrir, l'Inde est immense et possède une histoire extrêmement riche et plurielle. Avez-vous essayé l'un des instruments arabes ? Le ‘oûd par exemple ? Je suis un grand admirateur des musiques arabes et des maqams et j'admire particulièrement la finesse des ornementations. J'ai déjà eu l'occasion de jouer le ‘oûd mais jamais de façon sérieuse. Mais j'adore écouter des musiciens comme Samir Joubran, Anouar Brahem ou encore Nacir Shamma. Lors de l'inauguration du Festival de Sbeitla, mon ami Cenk Altiner (Tabla) et moi avons travaillé quelques morceaux de musique avec de très bons musiciens tunisiens pour créer une sorte de synthèse entre nos deux musiques. C'est à leur contact que j'ai pu découvrir les subtilités et particularités du malouf et de la musique tunisienne, qui la rendent bien distincte des musiques de ses voisins. Vous donnez souvent des spectacles de musique hindoustanie ? J'ai donné de nombreux concerts en France, notamment à Paris et Lyon. J'ai aussi eu l'occasion de donner des récitals de musique hindoustanie dans des lieux prestigieux comme la Maison de l'Inde à Paris. J'ai également travaillé avec des troupes de danse et danseurs : Ashim Bandhu de Kolkata, pour la danse classique, lors d'un spectacle au théâtre de Sens, ou encore les perles de l'Inde (Lyon) pour de la musique plus actuelle lors de spectacles pour la foire exposition de Troyes en 2009, etc. Aussi, en Tunisie, au delà de cette très enrichissante expérience musicale, j'ai pu bien sur découvrir la culture tunisienne et j'ai pu constater avec plaisir le sens de l'accueil et de l'ouverture vers l'étranger qui sont des caractéristiques fondamentales de ce pays. J'ai par exemple été frappé par la connaissance de l'histoire française qu'ont les Tunisiens qui semblent avoir un grand respect pour notre pays et notre culture. Lors de mon séjour à Sbeïtla j'ai aussi pu découvrir la passionnante histoire tunisienne, berceau des civilisations les plus anciennes par l'intermédiaire des ruines antiques de la ville. Bien sur mon séjour fut bref mais il m'a vraiment donné envie de revenir. Que dire de vos projets actuels et à venir ? Je viens d'enregistrer, sous la direction de Ronu Majumdar, les parties sitar d'un conte musical pour enfants aux éditions Gallimard qui sortira en automne. Je vais donner quelques récitals en France cet été, notamment au festival « La Pamparina » à Thiers le 4 juillet. J'envisage de partir en Inde et peut être aux Etats-Unis pour quelques concerts l'hiver prochain. Propos recueillis par Adnen HELALI