Pour mesurer l'énorme écart qui sépare le grand Art de la débilité, il faut avoir vécu notre mésaventure de lundi soir. En effet en quittant le Théâtre municipal après deux heures de ravissement musical passées avec Sonia M'barek et sa troupe de musiciens virtuoses, nous prîmes un taxi dont le chauffeur était aux anges en écoutant du très mauvais Raï. Inutile de vous dire que nous étions loin de partager l'extase que suscitait cette musique pervertie chez notre transporteur, un jeune homme d'à peine 25 ans. Il nous fallut bien sûr ronger notre frein pendant le trajet et, plus dur encore, faire semblant d'approuver les vues étendues du conducteur sur son genre musical préféré. Heureux finalement que la « course » (comme disent les taximen) n'ait duré que quelques courtes minutes ! Parce qu'autrement, elle aurait balayé toutes les émotions hautement artistiques que nous avons éprouvées tout au long du concert de Sonia M'barek. A la perfection ! Une jeune spectatrice interrogée sur l'affluence relativement modeste enregistrée lundi soir (environ 200 personnes), expliqua ce contretemps par l'air snob que donne souvent Sonia dans ses concerts et également dans ses cours de musique. Non chère adolescente, Sonia veut tout simplement hisser ses disciples et ses admirateurs jusqu'aux sphères supérieures de l'art, dans l'arène des grands maîtres universels du chant. Il lui faut, à elle comme à cette sélection de public, prendre tout logiquement de la hauteur pour interpréter et savourer la musique sublime et extratemporelle que défend cette artiste exceptionnelle. « Wajd II » fait partie de ces spectacles conçus pour l'éternité. Tout y était exécuté à la perfection : les textes chantés, dus tous à des paroliers et à des poètes de renom, débordaient de sensibilité et de profondeur spirituelles ; les musiciens étaient choisis parmi les meilleurs du pays ; les choristes réussissaient une de leurs plus belles prestations ; quant à Sonia, elle brilla de mille feux en célébrant Dieu et ses saints. Chaque chant était pour tout dire un chef d'œuvre à part! Le public présent comprit très vite le privilège dont il était honoré et en remercia très généreusement la chanteuse et ses musiciens. Incontestablement, « Wajd II » est le meilleur spectacle de l'année ; mieux ; on devrait le ranger parmi les grands classiques du patrimoine musical national et universel. Les connaisseurs ont déjà dit leur mot à ce sujet et pour eux, Sonia M'barek vaut largement une telle distinction. Nous n'aurons pas l'indécence de discuter leur équitable verdict !