Responsable de l'association Déroutes & Détours (Strasbourg), Franck Michel est enseignant à l'Université de Corse. Anthropologue, il dirige dans le cadre de l'association la revue en ligne «L'Autre Voie ». Il est auteur d'une quinzaine de livres dont «Tourisme, culture et modernité en pays Toraja, Indonésie, 1997» « En route pour l'Asie, 2001 » « Désirs d'Ailleurs, 2004 » «Voyage au bout du sexe, 2006 » et « Routes, éloge de l'autonomadie, 2009 ». Il est également un grand voyageur mais un voyageur éco-responsable ! Cet homme engagé pour un tourisme durable est très actif. Il est, ici ou là, chargé de cours en socio-anthropologie ou en formations touristiques, guide-conférencier de voyages culturels et consultant en anthropologie. A travers, les différentes questions ci-dessous, Frack Michel nous livre son impression sur l'évolution de l'activité touristique et ses défis à venir, en particulier liés au développement durable ainsi que son avis sur le tourisme en Tunisie.
Comment évolue l'activité touristique en cette période crise ?
Les activités touristiques s'adaptent à la crise tant bien que mal. Les offres de low cost mais donc également de "low quality" prolifèrent, notamment par le biais de séjours tout compris et d'offres alléchantes proposées par les hôtels-clubs, etc. Il y a donc un risque de banalisation de l'offre mais surtout de développement d'un tourisme de masse incontrôlé et malsain. Fort heureusement, il existe aussi une demande en matière de tourisme durable ou responsable qui tend à progresser, mais la période de crise actuelle n'est pas vraiment propice à développer ce secteur à plus grande échelle. Ce tourisme, plus respectueux, est dans le contexte présent encore majoritairement réservé à des visiteurs aisés et éduqués - une clientèle essentiellement "bobo" dirons-nous - et peine par conséquent à s'étendre à d'autres couches de la population. Cela dépend certes de la crise économique mais aussi de la volonté des opérateurs touristiques, privés et publics, des régions et des Etats, de réellement vouloir proposer des alternatives au tourisme de masse. Ce dernier est souvent prédateur et destructeur mais il rapporte voire des emplois, même s'ils sont précaires.
Est-ce que le comportement du tourisme a changé ?
Le tourisme semble évoluer moins vite que le touriste! L'industrie touristique ne modifiera sa politique globale et ses stratégies que si leurs clients en réclament de significatifs changements. L'offre dépend de la demande, et c'est souvent cette dernière qui va susciter une modification ou une évolution de l'offre proposée. L'espoir réside donc dans le changement de comportement de la part des touristes. Celui-ci doit être encouragé au moyen d'une meilleure information sur les destinations mais aussi d'une véritable éducation au voyage. Cette dernière devrait notamment promouvoir le respect des cultures visitées et de l'environnement traversé, elle est aussi le meilleur moyen de lutter contre le racisme, les discriminations et les diverses formes d'exploitation liées au secteur touristique. La vogue du patrimoine, de l'écotourisme, du voyage solidaire, etc., est un premier pas décisif dans ce sens. Mais il importe désormais de méfier des effets marketing dont le développement durable fait l'objet ainsi que des excès constants qui émanent du capitalisme vert qui a le vent en poupe des dernières années.
Quelles sont les nouvelles tendances touristiques ?
Comme dit précédemment, les formes alternatives de voyage (fondées sur la mode du bio, de l'écologie, du retour à l'authenticité, voire de la simplicité volontaire, etc.) constituent le meilleur antidote au tourisme de masse actuel. Le maître mot est sans doute celui de "Slow Travel" (dans le même esprit que Slow Food), et il s'agit de voyager autrement pour voir le monde avec d'autres yeux. De ce nouveau regard, basé sur le respect mutuel, dépend aussi l'avenir de nouvelles formes de partenariat Nord-Sud. Mais aussi Sud-Sud, les plus intéressants à encourager.
Une meilleure utilisation d'Internet offre –t-elle de nouvelles possibilités pour attirer le client ?
Oui, bien entendu, encore faudrait-il orienter ces possibilités et cette attractivité vers des "produits culturels touristiques" intéressants et non pas vers des produits à rentabilité rapides mais dévastatrices (comme le seul tourisme balnéaire); Internet pourrait justement promouvoir des destinations et surtout des offres innovantes et respectueuses des milieux naturels et culturels. Un tourisme à visage humain n'est pas impossible à développer, et les outils tels qu'Internet ont un rôle essentiel à jouer dans cette bataille économique mais aussi éthique à venir.
Ne pensez-vous pas que la bonne utilisation des nouvelles technologies ne devant pas faire oublier le facteur humain qui reste un élément déterminant dans l'immense chaîne de valeurs que constitue le tourisme ?
Oui, la machine ne remplacera jamais l'humain, et c'est ce dernier qu'il faut réactiver au service du tourisme, ainsi que de la dignité des peuples et du développement des économies nationales.
Que pensez-vous de la Tunisie en tant que destination touristique ?
C'est une destination très prisée, certainement très rentables pour certains, mais à mon sens trop peu diversifiée car trop axée sur le tourisme balnéaire et les offres "tout compris" qui ne laissent que très peu de recettes touristiques dans les mains des habitants... La mise en place d'un tourisme plus sain serait aussi salutaire pour l'avenir du pays et là il faudrait revoir toute la politique de développement du secteur touristique. Cela passe aussi par des choix politiques et des actions innovantes en matière de développement réellement durable. La clientèle est pour l'heure sans doute plus prête à ces évolutions que les tenants économiques du secteur. Les autochtones, surtout, devraient s'approprier davantage les rênes des décisions en matière de gestion du développement touristique local.