Imagine, cher lecteur tunisien, arabe ou même universel, que tu es chez toi, entouré des êtres chers qui te comblent de bonheur, en train de feuilleter avec eux un album de famille garni des meilleurs clichés-souvenirs triés et sauvegardés par tes soins, quand tout à coup une voix presque familière t'appelle au téléphone et t'informe qu'elle détient sur toi et les tiens un certain nombre de photos compromettantes et déshonorantes, et fournit pour authentifier ses allégations moult détails incontestables relatifs au contexte dans lequel ces photos ont été prises. Que ferais-tu ? A propos du dernier livre de Houcine el Oued, nous pouvons te poser la même question après t'avoir appris qu'il empeste l'air de tes secrets les plus intimes et de toutes les vérités humiliantes que, des décennies durant, tu t'es attelé à maquiller, sinon à cacher aux autres et à toi-même. C'est en effet un livre qui dérange, qui fait même peur à ceux d'entre nous qui n'aiment montrer de leur personne et de leur milieu que la face reluisante. « Rawa'ih el médina » est, pour leur malheur, entièrement consacrée au « revers de la médaille ». Au fond de l'égout Qui sont les héros de cette « histoire » ? Autant parler d'un seul, qui –heureusement- ne s'embarrasse pas d'histoires pour raconter la sienne et celle de ses concitoyens : c'est un narrateur acteur et témoin qui a résolu de tout dire parce qu'il n'y avait plus rien à cacher ; parce qu'il ne lui est plus possible de supporter le mensonge ambiant ; parce que le dévoilement avait désormais vertu de remède et de salut, de catharsis si l'on veut, pour lui comme pour les siens. Dans quel genre (flacon) romanesque faut-il ranger « Rawa'ih el madina » ? De préférence, dans aucun ; ce n'est ni un roman traditionnel, ni une chronique ordinaire, ni tout à fait des mémoires. C'est un récit délibérément bâtard dans un genre bâtard par définition. Et cela convient parfaitement à la réal-fiction de Houcine el Ouedi, peuplée en bonne partie de descendances suspectes ! Le meilleur extrait du livre ? Le post-scriptum de l'auteur qui, sur la base d'une prétention de son narrateur, émet l'hypothèse d'une suite à ce livre : c'est que d'abord les relents putrides du passé et du présent de la Cité continuent d'empester l'atmosphère sans déranger ses habitants lesquels ont appris à vivre au milieu de la puanteur ambiante. Ensuite, l'écrivain se doit bien, en tant qu'éboueur à sa manière, de détecter et de vider les «poubelles » de la communauté dont il a la charge. Au moins, il palliera ainsi à certaines incuries municipales ! Sauf que les zones qu'il lui faut décrasser sont de loin plus résistantes aux efforts d'assainissement que dépensent les hommes de bonne volonté. Alors il ne se décourage pas et promet de revenir au fond de l'égout ! Un mot de la couverture enfin : la reproduction du tableau brésilien est un excellent choix : la misère des favelas, une des plaies honteuses du capitalisme mondial, dont malheureusement s'accommodent les populations pauvres de Rio, rappelle par bien des côtés l'univers et l'ambiance délétères où se meuvent les personnages de Houcine el Oued. Avec cette nuance essentielle que dans la Cité de ce dernier, la misère habite davantage les esprits et les âmes ! Badreddine BEN HENDA ** « Rawa'ih el madina », de Houcine el Oued, préface de Slaheddine Chérif, Sud Editions, 2010, 363 pages, Prix public 13 dinars tunisiens