Par Bourguiba BEN REJEB -Les 33 mineurs chiliens viennent d'administrer la preuve que l'héroïsme ne se conjugue pas nécessairement en faits d'armes. Du fond de leur trou, ce genre de piège dont beaucoup d'autres n'ont pu échapper, ils ont tenu bon pendant de longs mois. Des faiseurs de cinéma pensent déjà à produire des films relatant leurs faits de résistance, mais il y a fort à parier que la fiction ne pourra être qu'une pâle imitation de la réalité. Alors que s'écrivait partout dans le monde une espèce de fatalité sur les mineurs ensevelis à jamais sous terre, les Chiliens ont renversé les certitudes pour prendre le dessus sur les aléas de la nature. Les sinistrés du ventre de la terre n'étaient pas seuls, il faut dire. La résistance des ensevelis a galvanisé les énergies en surface. Toutes les ingéniosités ont été mises à contribution pour les sortir de là. Il fallait y croire pour échafauder les instruments capables d'extraire les pères, les fils et les frères continuant à assurer leur trois fois huit pour chasser les mauvais esprits par le travail. A leur sortie, des psychologues étaient là pour leur éviter les traumatismes des profondeurs. C'est du moins le projet préparé par les sauveteurs. Le monde du psy aura certainement plus à apprendre qu'à enseigner aux rescapés. Mine de rien, ceux-ci ont démontré que la solidarité et le courage ne sont pas seulement les mots que l'on entend à tout propos. Les majeurs de la mine ont même poussé la vertu jusqu'à refuser de se bousculer au portail qui devait les ramener au soleil. Ils sont remontés dans l'ordre que leur dictait la priorité humaine. Ils ont ainsi administré la leçon qui manquait à l'Ordre moral qu'on disait d'abord militaire et sécuritaire. Ils ont tout de même dû porter des lunettes noires, mais ce n'est pas seulement pour se préserver du soleil. La mine continue malheureusement à tuer partout dans le monde, pour le confort physique et moral du plus grand nombre. Et il est peut-être temps que les bénéficiaires défendent mieux les droits à la sécurité des gueules noires. Les mineurs chiliens sont devenus des héros, de cette forme d'héroïsme qui fait l'unanimité. La logique du spectacle devrait en faire aussi des stars pour que la machine du vedettariat gagne de l'argent sur leur dos. A tout prendre, il n'est pas plus mal de les donner en exemple. Leur happy end vaut certainement mieux que les sagas servies sur fond d'héroïsme vicieux à force d'épopées fictives. Le Chili n'est pas vraiment ce qu'on appellerait une grande Nation. Mais tous ensemble, ses mineurs, ses ingénieurs, ses politiciens, son petit peuple, ont additionné leurs faiblesses et leur rage de vaincre pour donner de l'espoir. Evénement majeur, n'en déplaise au petit commerce des épopées guerrières.