Et si le début de la connaissance était le doute. Paradoxal me dites-vous? Mais à y voir de plus près, rien n'est aussi logique. Douter, c'est remettre en question un fondement, une conviction, remanier, être en continuelle gestation, mais aussi dépasser la négation et conjurer la paresse. La certitude par contre procède d'une définition négative, c'est ce qui n'est pas discutable, mais au fond, qu'est ce qui ne l'est pas? « On mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitudes qu'il est capable de supporter » affirmait Kant. Méthode cartésienne de mise à l'épreuve des opinions afin de parvenir à une vérité indubitable, le doute n'est pas pure destruction mais (re)construction. L'ignorance s'acquiert ; Montaigne avant d'atteindre l'ignorance a fait un long détour par les chemins de la connaissance. Remettre en doute toutes ses certitudes, faire place nette pour tout rebâtir sur des bases nouvelles est un travail de dur labeur. Entamer une pareille expérience exige tout d'abord une rupture avec l'enfance comme le suggérait Descartes, lui, qui nous fournit un exemple de cette démarche de la pensée dans le Discours de la méthode; décide de douter de tout afin de découvrir quelque chose qui soit incontestable « il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières annése, j'avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j'ai depuis fondé sur des principes si mal assurés ne pouvait être que fort douteux et incertain ; de façon qu'il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusqu'alors en ma créance », vous devinerez aisément que c'est le même cas pour la plupart d'entre nous. L'absence de doute, de questionnement mime une situation de figement et reflète un mauvais maniement de la raison ; c'est que l'organe, l'instrument même de l'intelligence réside dans le doute qui n'est pas une fin en soi mais un moyen, un outil pour toucher au savoir en examinant les faits avant de juger, car la raison a besoin du doute pour atteindre ses objectifs soumettant toute idée à l'esprit critique. Est-il enfin nécessaire de souligner que ce n'est ni le doute spontané de l'homme en proie à l'incertitude : doute ordinaire que nous connaissons tous pour l'avoir ressenti un jour ou l'autre, ni le doute des sceptiques, qui font de la suspension une sagesse de vie. Il s'agit du doute comme acte volontaire et raisonné de séparer les opinions des savoirs certains, afin d'asseoir sur des bases inébranlables l'édifice des sciences. Nous vivons dans une époque où il y a tant de valeurs conflictuelles et contradictoires, que chacun d'entre-nous doit faire preuve d'un minimum de prudence et de circonspection. Le doute nous prémunit contre les croyances naïves et les jugements hâtifs. Prenons alors le risque et le temps de douter et supposer qu'un fait est faux avant d'en faire une conviction. Soyons en proie au doute dès que cela nous épargne d'être en proie à la fausseté.