On estime aujourd'hui que dans le monde un quart de l'humanité habite à proximité de la mer. « C'est une zone particulière de l'écorce terrestre, une mince bande toute petite de quelques kilomètres de largeur qui couvre tous les rivages de toutes les mers du monde » précise Jean Marie Miossec, géographe –aménageur et professeur à l'université Paul Valéry à Montpellier. « Cette zone est sous pression, densément peuplée, occupée par beaucoup d'activités humaines. C'est un milieu naturel fragile, original mais qui est menacé par les actions de l'homme », ajoute-t-il. Et de préciser : « L'économie de la planète repose en grande partie sur les littoraux. C'est ce que nous avons montré dans ce livre (cf encadré). Ces littoraux représentent le quart du produit intérieur brut du monde alors que côté superficie, ils ne représentent quelque pourcentage 4 à 5% seulement. La Tunisie a une économie essentiellement littorale. C'est là où sa compétitivité peut se mettre en place. Ces littoraux font depuis le début de l'époque moderne et surtout depuis quelques décennies l'objet d'une emprise considérable, liée aux activités multiples qui s'y établissent et, bien souvent, s'y confrontent entre elles : pêche, commerce, tourisme, industrie, finances… Plusieurs de ces activités concentrées sur les littoraux font la richesse des nations dans l'histoire. Comprendre la nature littorale L'ouvrage en question est composé de quatre parties à savoir : « comment comprendre la nature littorale », « aménagement et développement des rivages avec trois sous parties ». « Nous avons mis l'accent dans ce livre sur le problème des surpêches de l'océan mondial et la révolution aquacole. Le thon rouge fait par exemple l'objet de nombreuses discussions en Méditerranée avec les quotas qui sont affectés. Mais on demeure mesuré dans cette présentation parce que les informations sur les stocks des poissons ne sont pas fiables. Nous ne sommes pas sûrs que la situation soit catastrophique et d'un autre côté il y a un élément social qui est fondamental car si on applique ces restrictions, il va falloir réduire considérablement le nombre de flottilles, de pêcheurs et de ports de pêche », d'après M. Miossec. Principale activité : le tourisme Le tourisme est la principale activité pratiquée sur les littoraux. « Ces littoraux sont affectés par la révolution des loisirs à partir des années 50 et 60 », d'après l'écrivain. Depuis, la demande touristique n'a cessé d'augmenter. Mais il faut aménager les littoraux touristiques. Le tourisme de masse pourra apporter de l'argent. Il faut aussi avoir une planification de l'ensemble du littoral avec des zones gelées où on interdit l'urbanisation et là il faut une réglementation très stricte à la fois sur le plan foncier, immobilier et infrastructure. Il faut surtout sensibiliser les hôteliers sur l'intérêt de préserver des portions de territoire littorales pittoresques qui constituent les éléments qui vont continuer à valoriser les territoires sur lesquels ils ont aménagé. Ce qui nous emmène à la troisième partie du livre qui s'articule sur « l'institutionnalisation de l'interface –mer-littoral », où on a développé les progrès des droits sur les mers et les littoraux et on a parlé de la protection et la conservation des littoraux. En Tunisie, il y a un code d'aménagement du territoire et d'urbanisme. Cette réglementation n'est pas toujours respectée notamment, pour le domaine public maritime où on doit interdire de bâtir mais il y a parfois des dérogations. Le danger est présent car si on construit trop près de la mer, on empêche la circulation du sable et on va appauvrir la plage et compte tenu de l'évolution climatique on peut avoir des bâtiments tout près de la mer qui un jour ou l'autre vont être détruits par la mer. Les littoraux sont donc un patrimoine dont l'existence est menacée par la nature et l'homme. Les multiples risques qui menacent et menaceront dans l'avenir l'espace littoral sont dus, pour la plupart d'entre eux, à la mauvaise gestion de cet espace combien exigu, fragile et mouvant. Kamel BOUAOUINA ------------------------------ Monji Bourgou (professeur à l'Université de Tunis) "L'occupation souvent non raisonnée du littoral a entraîné une nette dégradation de l'environnement côtier". Le Temps : Comment évolue le littoral tunisien ? - Monji Bourgou : S'étalant sur 1300 Km, le littoral tunisien offre des paysages naturels et anthropisés très variés : des falaises qui ont pour la plupart échappé à une mise en valeur intense, des côtes rocheuses basses souvent répulsives et des plages (environ le 1/3 du linéaire côtier) qui n'ont cessé depuis cinq décennies de connaître une emprise humaine sans égale. Des aménagements touristiques et portuaires, du béton, ont pris la place des sables et des dunes et ont privé le littoral, combien dynamique et vivant de communiquer d'une part avec l'arrière-pays et d'autre part avec le large. Le transfert des sédiments entre ces différentes parties est devenu difficile si non impossible. Le résultat est une érosion de plus en plus sévère des plages et des dunes bordières par les vagues et une détérioration inquiétante de ce patrimoine naturel non renouvelable puisqu'il s'agit pour la plupart de sédiments hérités qui ne peuvent plus se former de nos jours. Mais si les plages disparaissent et elles ont localement disparu, comme c'est le cas des plages de la baie de Tunis, nous perdrons la raison d'être de pas mal d'aménagements dédiés à une fréquentation balnéaire. *Que pensez-vous de cette littoralisation massive de la population tunisienne ? -Compte tenu de leur position intermédiaire, de leur exiguïté et de leur fragilité, les littoraux ne peuvent accueillir sans cesse des aménagements lourds et massifs. La concentration des équipements touristiques et portuaires, la littoralisation massive de la population tunisienne ne peuvent que fragiliser davantage cet espace à l'origine fragile. Une telle concentration stabilise les différentes parties du littoral (plage, dune,…). N'oublions pas qu'une bonne partie des constructions littorales a utilisé les sables du littoral comme matériaux de construction, contribuant alors à un déficit de plus en plus grand des sédiments littoraux. Une bonne partie de ces aménagements occupe le front de mer, souvent très près du trait de côte empiétant sur le Domaine Public Maritime. Les vagues affouillant le pied des constructions, deviennent plus agressives et l'érosion plus grave. *Estimez-vous que cette littoralisation a entraîné dans certains endroits une dégradation de l'environnement littoral ? -L'occupation souvent mal raisonnée car elle a omis ou n'a pas voulu tenir compte de la dynamique naturelle des plages a entraîné une dégradation nette de l'environnement côtier. Les exemples ne manquent pas. Pour la grande baie de Tunis, à part la plage de Raoued, on peut dire que les plages ont complètement disparu et se sont des enrochements (à la Goulette, Kheïreddine, Radès, Ezzahra, Hammam-Lif) qui ont pris la place des sables pour lutter contre une érosion marine sévère. La situation n'est pas moins grave le long du littoral qui sépare la Marsa, Al Kantaoui et Sousse. A Djerba des plages entières ont disparu et certains hôtels ont ouvert leurs portes et pas leurs plages ! *Quel est l'avenir de nos espaces littoraux ? -Sur plus de 50 % de leur linéaire, les plages tunisiennes connaissent un démaigrissement important et reculent sans cesse. Cette chose est anormale car naturellement les plages, contrairement aux falaises par exemple, devraient connaître un engraissement continu ou du moins une stabilité. Si la pression sur les littoraux continue, notre littoral connaîtra une situation de plus en plus difficile. *Comment faut-il gérer ces espaces littoraux? -Personne ne peut nier les efforts consentis en matière de lutte contre la dégradation des plages et les investissements mobilisés pour une meilleure conservation du littoral tunisien. La création depuis 1995 de l'Agence de Protection et d'Aménagement du Littoral en est un exemple très éloquent. Mais dans pas mal de cas on s'est dit que la dégradation est telle que ce qui est fait et se fera c'est comme le pompier qui arrive après l'incendie !! Par ailleurs, l'essentiel de la stratégie de lutte menée jusqu'à présent contre l'érosion marine n'a fait qu'utiliser des moyens lourds : des enrochements, des épis, des brise-lames,… Ces moyens fixent le trait de côte, mais enlaidissent le paysage côtier et ne permettent pas de résoudre le problème fondamental qu'est le déficit sédimentaire de ces parages. L'alimentation artificielle en sédiments devrait être tentée, car elle permettra aux plages de s'engraisser et au paysage littoral de retrouver son attrait. Un retrait de 100 et même localement de 200m devrait être strictement maintenu entre le trait de côte et les constructions de front de mer. KB ------------------------------ « Les littoraux : enjeux et dynamiques » Un nouvel ouvrage de Monji Bourgou et Jean Marie Miossec Destiné aux aménageurs, aux géographes, aux urbanistes, « Les littoraux : enjeux et dynamiques » est une publication des universitaires de France. C'est une collaboration entre un professeur tunisien M. Monji Bourgou, géomorphologue et enseignant à l'Université de Tunis et Jean Marie Miossec géographe –aménageur et professeur à l'université Paul Valéry à Montpellier. Ce livre s'adresse à tous ceux qui souhaitent découvrir et comprendre les espaces littoraux. Il présente ces espaces dans toute leur diversité et leur complexité dans une démarche qui combine rigueur scientifique et pédagogie.