Raouf KHALSI - [email protected] - Au crépuscule d'un génie qui aura marqué son époque, Sartre reconnaissait qu'effectivement « la violence n'était pas accoucheuse d'histoire ». Ceux qui croyaient qu'un nouvel ordre ne pouvait naître que dans le sang, déchantaient … La violence n'a en effet jamais rien apporté de bon. Ceux qui croient connaître notre histoire mieux qu'elle ne se connaît elle même, et qu'ils soient de l'intérieur ou de l'extérieur, brandissent et évoquent des hauts faits : le 9 avril 1938 ; le rugissement dévastateur des Fellagas ; la longue lutte pour la libération nationale ; et Bizerte bien sûr… Mais jamais les Tunisiens, peuple pacifiste mais qui n'a livré des guerres que pour chasser les envahisseurs – et ceci bien avant Carthage - , n'ont voulu de cette violence épidermique, iconoclaste et finalement stupide. Ils n'en veulent pas parce que dans leur écrasante majorité ils savent que cette violence est instrumentalisée. Et ceux qui, tapis dans l'ombre de la lâcheté et de la traîtrise, tirent les ficelles : ne se sentent-ils pas coupables d'avoir poussé des jeunes à s'immoler par le feu, à se faire électrocuter et à aller saccager des biens publics et privés au péril de leur vie ? Nous n'avons jamais caché ni simulé nos problèmes. En 87, le Président Ben Ali faisait prendre acte aux Tunisiens que la classe moyenne forte était quelque part un paravent aux disparités régionales en proie à la difficulté à s'affranchir d'une certaine nostalgie tribale et d'un ancrage historique à la terre, le refuge et la source. Cette terre verte, bénie de Dieu, qui aura régénéré après la fureur incendiaire d'Al Kahena et qui s'est reconstituée après les morcellements abusifs de l'époque noire du collectivisme. Le fait est là cependant : les enfants des ouvriers, les enfants de paysans, les enfants des pauvres réussissent à l'université. Et c'est ainsi qu'ils viennent grossir le rang des chômeurs aux côtés des enfants de la classe moyenne. On a certes parlé de stérilisation des diplômes du fait que l'offre universitaire n'est pas en adéquation avec la demande du marché. On ne comprend pas, cependant que des maximalistes de tout bord croient pouvoir déceler une espèce de grippe structurelle dans le tourniquet redistributeur de l'emploi – et donc de la création de richesse – … Pour un peu, ils suggèreraient la fermeture des universités. Ils en sont capables, c'est clair. Parce qu'au nom d'un élitisme débridé, au nom d'une liberté qu'ils ne réclament que pour leurs tribunes, voilà que la crise du chômage récurrente et mondiale sert de litanie à une lecture ou plutôt à une étude pour le moins fallacieuse d'une certaine stratification sociale. Et c'est de nouveau et toujours la ritournelle : Pouvoir/Elites/Classes… Dans quel dessein ? Accréditer la thèse que la classe moyenne est tirée vers le bas et que l'écart par rapport aux « nantis » se creuse ! Ces arguments de stratification et de mobilité répondent-ils réellement aux questions posées aujourd'hui ? Marx lui-même, théoricien de la lutte des classes ne prétendait pas décrire un objet mais construire un type idéal et un modèle abstrait de relations macro-sociales. Il était structuraliste par essence. Et au final, l'incertitude de ses diverses analyses historiques montre bien que la classe était pour lui un concept abstrait dont il cherchait une incarnation historique qu'il n'a d'ailleurs jamais trouvée… Voilà donc le projet que nous proposent ceux qui personnalisent les faits, ceux qui ne peuvent pas concevoir la dynamique sociale avec ses crises, ses moments de stabilité ses acquis et ses grincements, autrement que dans la dialectique destructrice. Comme d'habitude, ils cherchent désespérément à faire le procès du régime de Ben Ali. En même temps, leurs « employeurs » de l'extérieur, dont notre cher ami le porte-parole du Département d'Etat américain, les font tomber dans une ridicule contradiction : « Oui, disent-ils, les équilibres sociaux ont été réalisés »… « Mais, ajoutent-ils, au détriment de la liberté d'expression et de la Démocratie ». La Démocratie ? C'est 300 mille postes d'emploi qui seront créés avant la fin 2012, temps fort du discours présidentiel d'hier ! C'est peu ? Voyons si un autre pays, démuni de ressources naturelles peut s'y engager ! Les augmentations salariales au terme des prochaines négociations sociales, tradition incontournable de la Tunisie : n'est-ce pas là aussi un principe égalitaire et, donc, démocratique ? Ce ne sont pas là les bases des droits de l'Homme qui sont avant tout économiques ? Lorsque le Président de la première puissance du monde n'arrive pas à imposer des couvertures sociales pour 70 millions parmi ses concitoyens et que le taux de chômage se situe autour des 46%, le porte-parole du Département serait inspiré de regarder plutôt autour de lui. Quant à nos « élites », qui se disent libérales ou alors de gauche parce qu'on les a amputées de leur main droite, à l'évidence elles sont confondues dans ces brumes narcissiques où l'on en arrive à pavoiser quand nos enfants vont à leur propre mort. Eh bien non : s'ils espèrent une déflagration ; c'est qu'ils n'ont rien compris. Les Tunisiens sont trop attachés à leurs acquis pour les suivre dans leurs lubies.