Raouf KHALSI - Une grève des forces de l'ordre, une intrusion au sein de la forteresse de l'Avenue Habib Bourguiba, (le ministère de l'Intérieur) : le Gouvernement provisoire pouvait tout prévoir, sauf une telle insurrection. Et qui plus est, elle a opposé des frères d'armes (au propre comme au figuré) dont la grande masse (depuis les officiers jusqu'aux agents) se sentent diabolisés pour avoir consolidé un Etat policier tout en restant marginalisés ou du moins distancés par rapport au confort – tout compte fait illusoire – de la classe moyenne, dont le régime avait fait son faux cheval de bataille. Quel degré d'implication des forces de l'ordre – toutes sections et toutes directions confondues – dans l'étouffement des libertés individuelles avant la Révolution et quel bord – plutôt quel côté - ont-elles choisi après la Révolution ? A priori, il y a deux aspects. Le premier tient à une crise de confiance au sein des structures mêmes du ministère de l'Intérieur, dont quelques unes devaient se retrouver fortement personnalisées, comme cela se produit systématiquement avec ce qu'on appelle partout les « soutien du régime ». Le deuxième aura révélé ce qui couvait tel un feu de braise : la guerre des polices. Et si l'on y ajoute les impitoyables brigades à Seriati, eh bien, le dépit général avait, on s'en doute, atteint son paroxysme lorsque Ben Ali s'est renfermé dans son palais entouré de ses « dobermans » dévoués, disposés à mourir, pas pour lui, mais pour leurs privilèges. Maintenant que l'ordre revient, et que la purge (espérons que c'est la bonne !) s'est opérée, les membres de la Police nationale manifestent un besoin de communiquer. Les cadres sont des diplômés du supérieur et ils sont imbus de culture sociologique, publique et citoyenne. Les agents ne sont pas en reste. Nous avons mesuré leur degré de maturité et de citoyenneté surtout sur le plateau de Nessma. Mais ils distillaient aussi un message chargé de complainte : « Cessez, frères tunisiens, de nous accabler. Nous ne sommes pas ce que vous croyez »… Du coup, c'est tout une fibre affective entre « le flic et le citoyen » qui doit être (re) constituée. Est-ce possible ? Oui… oui parce que depuis l'Indépendance tous les systèmes se sont arrangés pour que « police et citoyen » n'aient guère confiance l'un en l'autre… Et puis, il y a, aujourd'hui, une donne incontournable : l'armée… Une armée fantasmée, rêvée parce qu'elle a toujours été marginalisée… Or, dans cette nouvelle socialisation, citoyen, police et armée sont appelés à coexister… Car, dans une certaine mesure, il s'agit de raffermir et de préserver les valeurs républicaines. C'est là, l'un des principes dispensés en matière de droit : la baillonnette intelligente* par opposition à la baillonnette obéissante. Raouf KHALSI *L'Etat de droit stipule que seul l'Etat peut s'approprier les moyens de la violence et qu'il ne peut l'utiliser que conformément à la loi. C'est le principe juridique de la baillonnette intelligente.