Raouf KHALSI - raouf.khalsiøletemps.com.tn - Carthage (c'est-à-dire Tunis) ne brûlera pas. Ce fut le serment de Caton ; thème récurrent, d'ailleurs repris dans un volumineux ouvrage de Mezri Haddab et empruntant sa formule à Caton, en guise de titre. Aujourd'hui, les Tunisiens se retrouvent obligés de se faire à ce métabolisme contraignant mais aussi quelque part sécurisant: le couvre-feu. Puisque des hordes cagoulées ne reculent devant rien, le dispositif sécuritaire ne saurait faire dans le détail. Quand la violence prend de telles proportions, il devient puéril et futile de continuer à s'interroger sur les manœuvres de récupération, d'embrigadement et d'instrumentalisation des jeunes. Ils est donc urgent de réagir. Non pas par la répression. Non pas par les balles qui ont fait des morts parmi nos enfants et nos concitoyens . En fait, un couvre-feu est une mesure sécuritaire technique, préventive aussi qui n'est jamais facile à décider ni à supporter autant pour le Pouvoir que pour les citoyens. Et qui plus est, la Tunisie croyait en avoir fini avec ses situations pénalisantes et de sinistre mémoire : école, université, économie, tourisme… Tout en somme. A la paralysie psychologique, se greffe une paralysie structurelle et institutionnelle. Or le Pouvoir ne pouvait faire autrement. Il fallait en effet arrêter cette incroyable effusion de sang et circonscrire la course folle de cette boule de neige ou, plutôt, cette boule de feu… Une étincelle surgit de la grisaille cependant : le Chef de l'Etat décide ce que les Tunisiens attendaient ardemment : la guerre aux dépassements et à la corruption. C'est la première fois que ce phénomène – dont on dit qu'il a contribué à décupler la rage des jeunes révoltés – est soulevé sans ambages et qu'une commission se chargera d'évaluer les présomptions et d'établir la véracité des faits. La corruption est un fait avéré chez nous (comme ailleurs) avec son corollaire : l'abus de pouvoir administratif, l'inégalité des chances et l'enrichissement sans cause. Là aussi, néanmoins, il faudra y aller avec sens de la mesure, honnêteté et objectivité : gare à diaboliser le capital ; gare à la purgation des passions populistes promptes à appeler à la chasse aux sorcières… Nous croyons en la solidité de nos institutions et à la prééminence de la loi. Oui, c'est vrai, une crise sociale est un signe de vitalité. Une crise sociale doit aussi être relativisée, « la seule chose absolue » aurait dit Auguste Comte… Les détenus parmi les manifestants, ceux qui ne sont pas rendus coupables d'actes graves, seront libérés, sur décision du Chef de l'Etat. Un nouveau ministre de l'Intérieur prend place ce qui veut dire qu'il y a une approche nouvelle de l'ordre et de la sécurité et qui, en tous les cas, hormis ces journées difficiles, ne s'inscrit guère dans une logique de durcissement. Mais il y a nous… Nous autres journalistes, ceux qu'on fustige parce que nous nous serions réfugiés dans un « silence complice ». Or nous ne devons pas informer uniquement. Nous avons aussi la responsabilité du commentaire. Car nous sommes désormais des intercesseurs, le miroir de notre société. En tous les cas, si nous n'avons pas la même approche que notre douillette télévision nationale, nous ne ferons pas le jeu des chaînes satellitaires et des montages mensongers des facebookers. Pas d'extrêmes. Mais juste le courage d'informer. Et « le courage, c'est la moindre des choses », dirait Saint Exupery.