Raouf KHALSI - On assiste à une fantastique libération des mœurs politiques. Sur nos chaînes privées (Hannibal et Nessma, Nessma et Hannibal), sur les ondes de la radio, c'est la consécration d'une forme de « star-sytem » savamment stimulé par des animateurs rivalisant en hardiesses mais très professionnels. Une « culture » voit le jour. Et, paradoxalement, les débats contradictoires, les prises de bec, parfois, fournissent à des protagonistes, par ailleurs, différents, un terrain d'entente dans l'adversité, et des moyens de communication dans la différence. Le grand publiciste Maurice Duverger le fait, d'ailleurs, observer dans son ouvrage « Sociologie de la politique ». Il note, en effet, qu'au-delà des particularismes par lesquels les groupes se distinguent et s'opposent, l'unité d'une conscience collective et d'une situation commune s'impose à l'observateur. Et du coup, au-delà des différences, ces particularismes, justement, rappellent qu'une société comme la nôtre, une société qui vient de réaliser un retournement de l'Histoire, est autre chose qu'une mosaïque de gangs, de syndicats, de partis et de courants politiques. Pour autant, le rejet de la société globale – ou globalisée – que l'ancien régime renforçait pour mieux la domestiquer, induit, aujourd'hui, de nouveaux rapports. Ce qui est sûr, c'est que la nouvelle socialisation ne se fait pas en fonction des strates et des nivellements. Elle en appelle aux consciences. Cette métamorphose est en train de se mouvoir, jour après jour, devant nos yeux à la télé. Inévitablement, certains personnages sont plus médiatisés que d'autres. Peut-être aussi parce qu'ils transcendent les déterminismes qu'impliquent leurs fonctions. On n'avait encore jamais vu un ministre de l'Intérieur parler plus de deux fois dans sa vie à la télé. Et si c'était plus ou moins toléré avec Bourguiba, avec Ben Ali, ce n'était plus possible. On voyait plutôt des ministres, le teint blême, la peur au ventre, munis de dossiers et saluant avec un peu trop de condescendance la garde qui les accueillait à leur entrée au palais, pour l'audience présidentielle. Or, tout change. Les shows à répétition de Farhat Rajhi séduisent les Tunisiens. C'est, surtout, la propension à raconter les choses comme elles sont qui attribue quelque bonus de crédibilité au gouvernement transitoire. Et lorsqu'il dit que tout le corps de la police nationale ne compte que 49 mille hommes, les Tunisiens commencent à réfléchir. Ben Ali n'a-t-il maintenu l'ordre qu'avec à peine 49 mille policiers, si l'on considère que l'armée avait toujours été tenue à l'écart… ? On vivait, donc, avec des syndromes, des peurs et des hantises… Sauf que la réhumanisation des rapports entre le citoyen et la police, grâce aussi au sens de la communication « jaculatoire » de Farhat Rajhi, ne doit pas nous faire oublier que rien de tout cela ne serait réalisé sans ces jeunes qui ont dit « Dégage » et sans cette armée, absolument républicaine, qui a refusé de tirer sur les Tunisiens. Elle a refusé de maintenir Ben Ali au pouvoir. Grande leçon d'allégeance à la patrie et à elle seule, et qu'aura, un jour, le temps de méditer… l'armée égyptienne.