Journée de mobilisation extrême pour ceux qui en ont après le gouvernement provisoire et visiblement ils ne sont pas peu nombreux. En absence de chiffres exacts généralement émis par les organisateurs d'un côté et par la police de l'autre, nous allons nous contenter de rapporter ceux qui nous sont parvenus par certains observateurs anonymes qui parlent de quelques deux cent mille personnes à la Kasbah et alentours. On jetterait une aiguille d'en haut et il y aurait de fortes chances qu'elle ne tombe pas par terre, dit un jeune homme qui prétend avoir mis plus d'une demi heure pour pouvoir se dégager de cette gigantesque mêlée humaine. Une autre partie des manifestants, majoritairement formée de jeunes, a pris position dans l'Avenue Bourguiba, descendus des hauteurs de la médina ou venus directement en ce lieu, d'ores et déjà mythique, de rendez-vous révolutionnaires. Une foule immense là aussi ! Au milieu des slogans hostiles à la lenteur et aux multiples ruses « prétendues » du gouvernement provisoire, des centaines de manifestants ont vite fait de déblayer les remparts de fil de fer barbelé censés préserver le Ministère de l'Intérieur. Certains grimpèrent aux fenêtres et c'est alors que l'on entendit la valse à mille tons orchestrée par les tirs en l'air. Cela ne dérangea aucunement les manifestants qui redoublèrent de ferveur jusqu'à ce que les hommes en noir accourent à la rescousse et balancent des bombes lacrymogènes. Celles que Michelle Alliot-Marie n'a pas eu le temps de leur fourguer. Bousculade… course aveugle… trébuchements…piétinements… fuite et regroupement quelques dizaines de mètres plus loin avec l'intention ferme des manifestants de revenir à la charge dés que la fumée lacrymogène aurait quitté l'Avenue. A la Kasbah, un responsables d'une Centrale Syndicale (faites comme s'il y en avait beaucoup) me répondit dés que je l'ai eu au téléphone et sans que j'aie eu le temps de dire (allo) –ce gouvernement doit tomber. S'il ne se décide pas à statuer sur le sort du Conseil de la Protection de la Révolution, la centrale va appeler à une grève générale. Dans le petit restaurant où j'écris ces quelques mots, les gens présents insistent pour regarder à la télé la finale de la CHAN qui oppose l'Angola et la Tunisie. Jai entendu des cris et des applaudissements. Etrange gens que ces tunisiens ! Enfin, ce retour de l'animation au Centre Ville nous pousse à nous poser la question suivante. Depuis la levée du couvre-feu et l'instauration de l'état d'urgence l'Avenue et les rues adjacentes sont laissées aux hordes des loups et cafards armés d'épées artisanales, de couteaux, de bâtons, de chaines métalliques et d'autres bijoux secrets. Les citoyens sont obligés de se rassembler pour atteindre leur voiture par peur d'être attaqués et ce à partir de vingt- et-une heure dés le départ des forces de l'ordre. 19h10, on vient me signaler que des hordes de jeunes ont attaqué, cassant tout sur leur passage. Sont-ce les mêmes qui protestaient il y a de cela quelques dizaines de minutes ou bien les sempiternels casseurs issus du lumpen prolétariat ? C'est la gabegie générale. Le lieu où je me trouve a baissé les rideaux. Le romancier Hassan Ben Othmen m'appelle : « ils ont cassé Monseigneur » (fameux cabaret des années 80 où Raja Ammari a tourné quelques scènes de son long métrage « Satin Rouge », devenu avec le temps un véritable bouiboui) A la question s'il pense que ce sont les manifestants ou des casseurs, il répond que ce sont les mêmes casseurs. Entre temps, je suis surpris de voir s'avancer vers ma table un soldat. Je le reconnais. C'est un garçon qui vient juste de rejoindre l'armée depuis quelques jours : « un soldat et un civil ont reçu une balle à la jambe dit-il. Qui a tiré ? Des inconnus hissés sur les toits. On a essayé de les disperser dit le jeune soldat mais ils sont trop nombreux. Ils nous ont attaqués avec des jets de pierres et puis il tourne les talons et s'en va rejoindre ses camarades. 19h27 -Que va-t-il se passer dans les minutes qui vont suivre ? La rue adjacente où je me trouve semble avoir retrouvé son calme. Pour combien de temps ? L'ami qui m'accompagne va-t-il trouver sa veille petite voiture intacte ? Comment allons-nous rentrer ? Ça ira, va ! Ce sont juste des petites questions que l'on se pose. Quant à ce que sera demain, les gens présents dans le restaurant semblent s'en soucier comme de leur première chemise. Je les entends pousser des hurlements de joie. La Tunisie vient de marquer contre L'Angola. Il est 19h35 La révolution et sa contre-révolution peuvent continuer leur petit bonhomme de chemin. Serait-ce le retour en force de notre foot national ?