Nous avons suivi, il y a deux jours sur l'une de nos chaînes de télévision, une émission qui présentait l'un des nouveaux partis politiques autorisés en Tunisie. Interviewé sur son programme, un des fondateurs de ce parti répondit qu'il n'en avait pas encore et ajouta pour le qualifier que c'était tout bonnement le parti d' « Errjouliyya », terme qui désigne, chez nous comme dans beaucoup de pays arabes, un ensemble de qualités morales nobles, proches de celles que devait réunir le chevalier du Moyen-âge, le machisme en somme. De plus et bien que son étymologie (« rajoul ») renvoie à des traits proprement virils, le terme peut également s'employer en parlant d'une femme. D'ailleurs, il est de plus en plus fréquent d'entendre nos douces moitiés et nos toutes jeunes filles exalter leur « rjouliyya » parfois même aux dépens de leur féminité. Mais il est utile de rappeler aussi une autre expression familière se rapportant justement à la « rjouliyya » et qui définit celle-ci comme très relative, fluctuante et connaissant des hauts et des bas selon les circonstances. Autrement dit, elle peut nous faire défaut à tous dans bien des situations, et souvent c'est nous-mêmes qui en faisons abstraction pour nous sortir d'une quelconque impasse ou pour tirer profit d'une affaire avantageuse. Pour en revenir à « notre » nouveau parti et partant de cette certitude sur la versatilité d' « Errjouliyya », nous trouvons à tout le moins maladroit de présenter ainsi son clan politique. Qui pourrait demain se fier à une formation aussi lunatique qu'« errjouliyya » ? N'est-ce pas susciter d'avance la suspicion autour des intentions des fondateurs de ce parti, peut-être, « mort-né »? D'un autre côté, il faudrait reconnaître qu'on peut appeler « partis d'errjouliyya » ceux du monde entier: en politique, quelle est, en effet, la formation qui respecte invariablement et à la lettre les slogans de sa campagne électorale ou qui honore vraiment les valeurs dont elle se réclame ? Les discours partisans se traduisent rarement en faits, et chaque homme politique recourt à cette fameuse souplesse « tactique » qui lui dicte assez souvent de renoncer « circonstanciellement » aux principes fondamentaux. En bref, notre ami d' « errjouliyya » n'avait finalement pas tort d'utiliser ce vocable pour décrire son parti, et oser le dire à la télé, dans une émission sérieuse, et le même jour où le RCD, cet autre parti d' « errjouliyya », était rejugé, ça c'est le comble d'errjouliyya ! La « rjouliyya » au féminin Passons aux femmes à présent : celles de l'UNFT, bien sûr. Leur présidente vient de démissionner mais, pour relever de la « rjouliyya », sa décision devait être prise beaucoup plus tôt. Si elle avait eu le courage d'abandonner son poste du temps de Ben Ali, on lui aurait aujourd'hui érigé une statue. Que risquait-elle au pire ? D'être exclue du RCD ? Quelle perte ! D'être jetée en prison ? Combien de femmes politiques l'ancien régime a-t-il condamnées à cette peine ? Pas une seule de ses supportrices, et quasiment aucune de ses adversaires ! La prison resta « pour les hommes » sous Ben Ali comme dans l'ère bourguibienne. Mme l'ex-présidente de l'UNFT aurait pu comme d'autres créer sa « propre » association de femmes. A ce propos, il y a lieu de se demander pourquoi les Tunisiennes ne fondent pas de partis politiques et se contentent de petites organisations. En tout cas et jusqu'à cette fin du mois de mars, sur les 50 formations déjà autorisées, aucune n'est présidée par une femme. Est-ce à dire que chez nous, arabes et musulmans, les partis politiques c'est toujours une affaire d'hommes ? Et pourquoi dans les pays arabes et musulmans, on n'a pas encore de reine, de présidente, de premier ministre en jupon, de présidente du parlement etc. Vendredi dernier, nous étions au milieu de l'Avenue Habib Bourguiba en train de suivre les débats de quatre cercles de discussion organisés à même le terre-plein par des contestataires jeunes et moins jeunes. Le nombre total des participants réguliers avoisinait les 200 personnes parmi lesquelles on ne comptait même pas une dizaine de femmes. En revanche, autour de ces cercles, les filles et les femmes entraient par centaines dans les magasins et les centres commerciaux du centre-ville. Les autres déambulaient sur la grande avenue ou se prélassaient (plutôt accompagnées que seules) sur une terrasse de café. Le spectacle que nous vous décrivons est quotidien et vous pouvez vous en assurer à chacune de vos sorties en ville. Autre constatation significative : nos femmes et nos filles constituent l'écrasante majorité de la clientèle des vendeurs à la sauvette et des marchands ambulants qui embouteillent désormais les rues et les trottoirs de toutes les villes tunisiennes. Où que la police municipale déloge ces vendeurs de camelote, nos femmes les suivent et leur achètent tout ce qu'ils exposent sur les étals en carton. Voilà une bonne option à prendre : créer le Parti pour la Défense des Clientes du Marché Parallèle (PDCMP), l'Union des Clientes de Boumendil (UCB), la Coalition Pour le Shopping Bas de Gamme (CPSBG). Du côté des « acheteuses » aisées, on fondera le Parti des Clientes de Super Markets (PCSM), le Mouvement pour la Défense des Friperies de Luxe (MDFL), l'Union des Amatrices de Vêtements Importés (UAVI). En voilà des partis vraiment rassembleurs qui ont toutes les chances de damer le pion à l'actuelle Union Nationale des Femmes Tunisiennes et de surclasser aisément les associations féministes en mal d'adhérentes.