Par Khaled GUEZMIR - La bande à Walid Zaraâ (Hannibal-TV) a frappé un joli coup en invitant deux « leaders » bien médiatisés : Mme Selma Baccar cinéaste émérite avec entr'autres ses chefs-d'œuvre : « Khochkhach (fleur d'oubli) et la danse du feu sur Habiba Msika, et l'emblématique Cheikh Abdelfatah Mourou du mouvement islamiste Nadha. Le débat était très animé et sans concessions (bidoun Moujamala) en conformité avec la ligne éditoriale de l'émission. De Cheikh Mourou, il me revient ce lointain souvenir des années soixante où par une après-midi printanière, un grand jeune homme élancé portant habit traditionnel du Sud tunisien, est apparu pour la première fois en public pour haranguer les foules estudiantines du côté du palais de la « bourse du travail » à Tunis – Marine. C'était lors d'un meeting de la « corpo » de la faculté de droit de l'UGET (Union générale des Etudiants tunisiens) en présence du président du conseil des ministres de l'époque feu Si Bahi Ladgham en personne. Dans son intervention le jeune tribun a ébloui l'assistance par sa fougue enflammée, mais surtout par ses références coraniques et la citation des « hadiths » du prophète. Si El Bahi n'a pas manqué de nous demander d'abord « qui est ce jeune homme »… puis en vieux routier connaisseur de la pensée islamique et Zeitounienne il s'adressa à l'assistance en ces termes : « Mes enfants faites attention ne mélangez pas la religion et la politique et rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu… L'Islam en Tunisie est malékite et spécifique ». C'est dire que le débat sur le rapport de la religion avec la politique et la nécessité ou pas, de séparer cette dernière de l'Etat ne date pas d'aujourd'hui. Mieux encore ce processus a un bel avenir en perspective avec la montée en puissance des partis politiques islamistes bien que différenciés et non homogènes. Essayons, pour notre part, de relativiser et de ne pas tomber ni dans la naïveté excessive, ni dans la diabolisation gratuite et infondée. Je commencerai d'abord par un reproche à ceux qui agitent un concept qui peut porter à équivoque : « La laïcité ». Ses racines prennent source dans l'Histoire de l'Occident chrétien du temps où il fallait séparer l'Eglise dominante de l'Etat démocratique et pluraliste naissant. Ce cheminement a été entamé depuis Saint Augustin au Moyen-âge, pour atteindre sa plénitude avec Voltaire et les révolutions libérales européennes au 18e siècle. En fait la Tunisie a toujours été une exception à ce niveau et le Cheikh Mourou, le reconnaît lui aussi, parce que l'islamité dans notre pays, toujours a été une synthèse heureuse entre le culte, le rituel et la culture vécue et pratiquée solidairement, loin du fanatisme et de la rigueur religieuse appliquée au Moyen-Orient et dans le Golfe chiîte et Wahabite. L'Islam en Tunisie a toujours constitué une sorte « d'atmosphère » où baigne le bonheur du « vivre ensemble » et de la célébration fraternelle et joyeuse. C'est l'école de Kairouan et de la Zitouna. C'est ainsi, du Ramadan, de l'aïd, de la Omra et du haj etc… qui sont fêtés solidairement sans rigueur excessive ni obligation prétorienne : « La Ikraha fiddin…, waddin yusr wa leiça osr » ! Des valeurs bien ancrées dans le vécu islamique de notre pays et de notre peuple même ceux qui ne pratiquent pas la religion ne sont ni mis à l'écart ni culpabilisés ! « La « Laïcité » agitée avec une certaine agressivité verbale dans ce contexte, peut être plus nocive que bienfaitrice parce que la société tunisienne est « laïque » de fait par la tolérance absolue héritée de nos grands maîtres de la Zitouna, les Cheikhs : Tahar et Fadhel Ben Achour, Chedly Naïfar, Habib Belkhoja Mokhtar Sallemi, Abderahmen Khlif et bien d'autres et avant eux les Cheikhs Salem Bouhajeb, Beyram V, Al Khedhr Hassine etc… La pensée islamique tunisienne a toujours été libérale et progressiste et en avance sur les doctrines des autres pays musulmans. En revanche il est légitime de revendiquer la séparation de la religion et de la pratique politique structurellement. Les mosquées sont les maisons de Dieu et non le siège de partis politiques qui peuvent prôner la violence dans le changement politique. La mobilisation politique doit se faire dans les structures civiles d'autant plus que la loi depuis la révolution a autorisé la pluralité des partis. Encore une fois, ce dont Mme Baccar a peur et elle n'est pas la seule, c'est l'institutionnalisation d'un nouveau despotisme, et d'une nouvelle terreur sous couvert de la religion et d'une interprétation erronée de la parole de Dieu qui est en contradiction flagrante avec notre islamité tunisienne, libérale tolérante et fraternelle. Je ne dis pas qu'il faut occulter totalement la « laïcité », mais il s'agit de nous faire l'économie de tout ce qui peut nous désunir au moment où nous avons besoin de la paix sociale et celle des cœurs. Et comme le disait si bien le Calife Al Imam Ali : « Al fitnatou achaddou minal katl ». (la sédition est plus grave que le meurtre)… !