La Kasbah 3 s'approche à grande vitesse. Depuis quelques jours, on ne cesse de l'annoncer sur le net et les jeunes se rassemblent afin d'y revenir. Les arrestations qui ont eu lieu la fin de la semaine dernière n'ont pas contré la manifestation, pas plus que le débat autour de Caïd Essebsi projeté avant-hier sur les ondes de la télé nationale, bien au contraire, les réactions de mécontentements ont aussitôt circulé une fois le débat terminé. Pourquoi une Kasbah 3 ? L'évènement contient, certes son lot de revendications politiques, mais se nourrit également du sang des martyrs pas encore « vengés ». En effet, les familles qui depuis trois mois appellent à ce que ceux qui ont tiré sur leurs enfants soient au moins arrêtés, et jugés, s'impatientent et croulent sous le poids du chagrin. Il est vrai que la logique dit qu'à chaque chose son temps et que le gouvernement transitoire ne peut tout résoudre et contenter tout le monde à la fois. Mais il est également essentiel de comprendre la passion qu'engendre le chagrin et que ces familles ne peuvent voir les choses de manière autre que passionnelle. On ne peut en aucun cas les blâmer de ne pas se montrer « logiques ». Ainsi, dans la liste des revendications de la Kasbah 3, on y relève un réquisitoire de ceux qui ont tiré sur le peuple, mais aussi des accusations contre des anciens dirigeants du RCD, soupçonnés aux yeux des protestataires non seulement de tyrannie politique, mais également de détournement de fonds public. Les protestataires s'impatientent également de ne pas voir l'ancien président, ainsi que sa famille passer en justice et s'attendent aussi à ce que des pressions soient exercées pour rapatrier la famille de Ben Ali et pour récupérer les deniers publics. Les protestataires appréhendent également que la police politique, même officiellement dissoute ne continue du sévir encore. Ils veulent par ailleurs que les agents ayant exercé dans ce corps et auteur d'abus soient arrêtés et jugés. Sur le plan politique, les protestataires exigent que les discussions de l'instance supérieure soient publiques et non pas secrètes. Pourquoi cette impatience ? On remarque nettement que les jeunes tunisiens épient la Révolution égyptienne et comparent les progrès des deux côtés. La révolution égyptienne quoi que déclenchée après la nôtre commence fournir des réformes concrètes. Ainsi, l'assignation à domicile de Moubarak et sa famille, l'emprisonnement de ses ministres, l'interdiction à quelques responsables du parti présidentiel égyptien de s'adonner à la politique ainsi que d'autres dispositions prises, ont exacerbé encore plus nos jeunes et éveillent une méfiance ici quant à la volonté du gouvernement de poursuivre les responsables corrompus. Lors du débat avec le premier ministre, les questions relatives à la sécurité, aux snippers sont restées sans réponse. Ceci renforce l'appréhension et le fait qu'il dise qu'il peut changer de ministre sans donner d'explication ni demander une autorisation – ce qui est logique en soi – a renvoyé l'image d'un premier ministre qui se soucie peu du peuple. Encore une fois, la communication fait défaut au gouvernement… Et encore une fois, le premier ministre a brandi la carte de la sécurité et de l'économie pour contrer le sit-in. Des milliers de personnes y adhèrent, mais d'autres considèrent que ce n'est pas un sit-in qui paralysera le pays, mais ceux qui font les grèves ailleurs pour des augmentations, ainsi que les pilleurs, les milices et les anciens prisonniers relâchés. Les protestataires revendiquent leur droit civil au sit-in et crient haut et fort qu'une telle manifestation ne peut être interdite. D'ailleurs, des milliers de personnes se demandent sur le net comment cela se fait-il que le gouvernement ait laissé en liberté les vrais criminels, ceux qui ont tiré sur le peuple, ceux qui l'ont tyrannisé et volé et procèdent à des arrestations de jeunes car ils organisent des sit-in ou alors s'activant sur le net et ne font que pratiquer leur droit à la libre expression. Origine de la tension La majorité silencieuse reprend la parole encore une fois et entre ceux qui tiennent à organiser la Kasbah 3 et cette majorité qui les accuse d'être manipulés et les soupçonne de destructeurs, la tension monte entre les deux camps du peuple. Il est vrai qu'il est fort probable que les jeunes organisateurs de la Kasbah soient manipulés par d'autres forces ou courant malveillants, mais ceux qui ont discuté avec les protestataires et ont assisté aux précédents sit-in ne peuvent que témoigner de la bonne organisation, de la maîtrise de leur sujet et de l'envie de débattre animant ces jeunes qui ne peuvent en leur majorité être des ignorants et de ce fait là si faciles à manipuler. Comme il est tout aussi vrai également que le pays est « à genoux » et qu'il faut faire redémarrer l'économie. Il est clair aussi que la sécurité est impérative et qu'il faut la restaurer. Seulement, les protestataires de la Kasbah n'appellent point aux grèves ni ne pillent ou ne volent ou n'incendient… La Tunisie est devant un tournant historique. Les précédents sit-in ont vu s'éclater en parallèle et dans d'autres villes des incidents allant jusqu'à des confrontations armées et engendrant des blessés ou des morts. Est-ce une coïncidence ou alors une envie d'assimiler un sit-in au chaos ? Si c'est le cas quelles forces occultes manœuvrent pour qu'il en ait l'air ? Il nous reste alors à espérer que pour cette fois gouvernement et protestataires arriveront à trouver un terrain d'entente et que surtout aucun évènement sanglant ne se vérifiera et n'assombrira les horizons.