« Nous avons gagné une bataille, mais pas la guerre », telle semble être la devise des manifestants. Chassés de la Kasbah à coups de matraques et bombes lacrymogène il y a quelques semaines, ils reviennent aussitôt pour y siéger. Rien ne les détourne de leurs requêtes, comme rien ne leur faisait plus peur. Ils croient en la justesse et la légitimité de leurs exigences et qu'ils sont en droit de revendiquer, puisque ce sont eux qui ont fait éclater la colère du peuple et pour cela, ils sont prêts à aller jusqu'au bout. Pour sonder leurs opinions, exprimer leurs exigences et décrire l'ambiance qui règne à la Kasbah, nous avons passé le premier jour et une partie de la première nuit avec eux, lors du premier sit-in. Dimanche, nous y étions aussi. Leurs demandes sont claires, précises et unanimes : constituer un comité d'exécution, dissoudre le RCD, le parlement, la chambre des conseillers, la police politique, organiser un forum national de protection de la révolution, instaurer et rassembler les comités populaires, rédiger une nouvelle constitution, excuses formelles de la part de Ahmed Najib Chebbi pour avoir minimisé le nombre des manifestants du dernier sit-in (il a déclaré qu'ils éteient 400, alors qu'ils étaient environ 6000), excuses formelles pour la violence utilisée contre eux pour disperser le premier sit-in et finalement, l'ouverture d'une enquête sérieuse et transparente pour établir les circonstances de la dispersion du sit-in. Un sit-in qui commence avec des tirs Dimanche matin, Tunisois, Gafsois, Kefois, Kasserinois, Gabésiens (…) affluaient à la place de la Kasbah. Enthousiaste, pacifiste, une marée humaine rouge et noire envahissait les lieux. Les drapeaux de la Tunisie flottaient dans le ciel, porté dans les bras de la population, sur les épaules des filles … tandis que les discussions s'engageaient ça et là dans la spontanéité et l'élan d'une même cause. Une surprise les attendait à l'entrée de la cour : des soldats alignés étaient là formant une « barrière humaine ». On réussit quand même à pénétrer. Pendant toute la journée, l'ambiance fut calme, sereine, joyeuse même. Des groupes se formèrent et des jeunes s'exprimaient. Hommes, femmes, enfants, jeunes, adultes, vieux, toutes les catégories sociales, toutes les sensibilités, tranches d'âge se sont rassemblées ce dimanche à la Kasbah, unis pour une même cause et les mêmes exigences. Chaque nouveau groupe qui arrivait été ovationné, applaudi. Nuit glaciale, douche bouillante ? Le soir, le nombre se réduit sensiblement. « On empêche nos amis d'arriver des autres régions » nous dit-on. « Ils nous appellent et nous disent qu'on leur barre les entrées de la capitale, mais ils nous prient de résister, ils arriveront le matin ». Des barrières ont été dressées à l'entrée de la cour, mais cette fois-ci par les « insurgés » de la Kasbah. Un comité de surveillance et de fouille fut improvisé sur toutes les entrées afin de contrer toute tentative d'infiltration d'intrus dans le rassemblement. Les femmes sont soumises à une fouille systématique. Et il faisait froid, un froid de canard… Et contrairement au premier sit-in nous n'avons vu ni matelas, ni couverture. Quelques-uns ont pu s'abriter dans les vérandas, mais la majorité ont dû s'assoir à même le sol ou alors passer des heures à marcher dans la cour, sans même faire attention à la pluie. A un endroit de la Kasbah, un groupe s'est formé autour d'un jeune qui jouait de la guitare. Soudain, l'ambiance fut ternie par des cris et une alerte. L'armée se retire !! Les ‘'Bops'' arrivent. Et ce fut vrai. On les voyait débarquer des bus, aux alentours de minuit. Aussitôt la panique s'installa et on se rassemblait à l'arrière de la cour. La police réinstallait les barrières tandis que les camions d'eau bouillante stationnaient à droite et à gauche de l'entrée de la cour. Ce fut peine perdue car des bénévoles ont accouru pour reprendre les barrières et les réinstaller de peur que les camions ne puissent entrer et arriver jusqu'au fond, où se sont rassemblés les manifestants. Une heure s'écoula, où l'attente et l'angoisse avaient régné, un cadre du ministère de l'Intérieure arriva et on a repris les négociations entamées et interrompues plusieurs fois dans la journée. On essaya de convaincre les manifestants de quitter la cour vers 6 heures du matin et d'y revenir après les horaires administratifs… Les ‘'parties'' arrivaient enfin à un accord commun au moment où nous quittions les lieux. Il faisait encore plus froid. Hajer AJROUDI ----------------------- En marge du Sit-In - Le doyen des manifestants, âgé de 70 ans est là depuis la veille du premier sit-in. Ali Zaiani, est arrivée à Tunis dans le but d'acheter une voiture pour son fils et a entendu dire que les gens des villes intérieures arrivent, il s'est alors dirigé vers la Kasbah qu'il n'a pas quitté depuis, même après qu'on ait dispersé le premier sit-in. On l'a délesté des sept mille dinars qu'il avait sur lui et il reste quand même. Son fils, Zine, étudiant en droit et âgé de 22 ans l'a rejoint. « J'ai été présent à la bataille de Bizerte en 61, j'ai arraché le drapeau de la France et j'ai mis celui de la Tunisie. J'ai participé aux évènements de 84, de 78 et aujourd'hui je rejoints le mouvement. Après le 7 novembre, j'admirais tellement Zine Abidine Ben Ali que j'ai donné son nom à mon fils; Zine. Mais il a trahi son peuple et aujourd'hui, les sbires du traître doivent partir. » Témoigne Ali. - Maître Dalila Msadak, avocate que nous avons rencontrée nous révèle « Hakim Karoui est l'homme de l'ombre du gouvernement. Il a rédigé le dernier discours de Ben Ali et collabore avec le nouveau gouvernement. Il leur a proposé les ministres à nommer. Quatre d'entre eux, Jouini ; Ayedi, Jelloul et Houas font partie de l'organisation Young Medittarean Leaders, tout comme Hakim Karoui. Ils sont les PDG de quatres multinationales. C'est la revanche de Naïma Kefi, première femme de Ben Ali. On n'est pas sorti de la famille, décidement… - La Tunisie est en train d'être vendue à la droite française, nous dit-on - Phrases écrites sur les pancartes : « Du peuple de la Révolution à Mc Caen, Liberman et Boillon ; le projet de la division est un échec », « accuser les Islamistes d'avoir tué le prêtre est un mensonge dénudé », « Média corrompu, dégage », « Où est Rachid Ammar, elle est où ta promesse pour les révoltés ? », « les jeunes ont droit aux postes politiques »… - Les jeunes se sont allongés devant les chars pour empêcher l'armée de quitter les lieux comme la dernière fois - Une grande joie a été suscitée par l'annonce de la nouvelle du départ de Kadhafi. - Les jeunes nettoyaient la place.