Une lame de fond traverse, ces temps-ci, le système de la justice pénale dans notre pays. Un changement qui s'opère non sans heurts puisque les fomentateurs et les anciennes têtes pensantes de la dictature de Ben Ali s'y opposent. D'autres voix s'élèvent pour briser les lois en vigueur. On a commencé par celle du silence. On parle, aujourd'hui, avec plus ou moins d'ouverture de la nécessité d'approuver et d'appliquer une réforme judiciaire, pénitentiaire et du système policier. L'esprit des lois en vigueur est à repenser et il est à l'ordre du jour d'un colloque de deux jours qui se tient hier et aujourd'hui à Tunis, organisé par l'Institut arabe des droits de l'Homme et l'Organisation internationale de la réforme pénale. Mais on ne peut passer sans citer au passage la présence parmi les conférenciers de Lech Walesa qui effectue une visite dans notre pays. L'ex-Président polonais et Prix Nobel de la paix, endosse sa casquette de syndicaliste pour évoquer, entre autres, le rôle du syndicat dans la transition démocratique. Le syndicat doit observer et critiquer et faire en sorte que le débrayage soit la solution ultime de la lutte « Il ne faut pas en abuser. » dit-il. A bon entendeur. Révolutions tunisienne et polonaise Lech Walesa personnage emblématique de la lutte travailliste a remarqué, dans la foulée que la Révolution polonaise et celle tunisienne présentent des ressemblances en ce sens qu'elles ont fait parler le langage du peuple. A une question que lui a posée -Le temps- quant à la situation chaotique dans laquelle a versé notre Révolution du 14 janvier, Lech Walesa a préféré tempérer, en avançant que cela est propre à tout changement radical et qu'il s'agit d'une situation temporaire. « Il faut tout juste faire participer les masses et n'exclure personne. » dit-il Il a même conseillé de dialoguer avec les symboles de l'ancienne dictature. Un point que Radhia Nasraoui n'a pas trop apprécié puisqu'elle a confié à des journalistes que les anciens tortionnaires doivent comparaître devant la justice même si dit-elle « les entorses faites à la justice deviennent un phénomène courant ces temps-ci. » L'avocate et présidente de l'Organisation tunisienne contre la torture ayant présidé la première séance du colloque a rappelé la nécessité de remettre en question notre système de justice pénale. Réforme pénitentiaire Sauf que la réforme pénale dans notre pays ne date pas d'aujourd'hui, puisque des noms illustres comme celui de feu Ahmed Othmani connu à l'échelle internationale qui a connu les affres de l'incarcération de 1968 à 1979 s'est engagé depuis dans cette voie en établissant les règles minima pour le statut des détenus puisqu'il a été le fondateur de l'Organisation internationale pour la réforme pénale. Simone Lellouche Othmani qui était sa compagne de route dans cette lutte qui a pris fin avec le décès de Othmani en 2004, a donné une allocution dans laquelle elle a rappelé qu'une prison doit permettre à un détenu de vivre normalement une fois il est libéré. « Mon mari écrivait dans son CV, : 1968-1979 inactif pour des raisons politiques…Des étudiants des intellectuels étaient en prison pour avoir critiqué un régime. Je ne peux ne pas repenser à ces années noires…On frappe à la porte à une heure inhabituelle, notre estomac se noue et c'est là que des épisodes noirs de notre vie débutent. Il y a tellement de choses à faire aujourd'hui. » fait-elle remarquer. « Il faut commencer par faire un état des lieux de la situation pour pouvoir envisager des solutions et il faut envisager des réformes du système pénal dans toutes ses composantes : réforme judicaire, pénitentiaire et du système policier » remarque Lamia Karar directrice exécutive de l'Institut arabe des droits de l'Homme. Abdelbasset Ben Hassen le Président de l'institution rappelle que le terme de réforme pénale est relativement nouveau « Il a même était étrange avant 2002 lorsqu'un colloque sur la question s'est tenu à Amman. Notre culture nous fait penser à tort que la prison est la meilleure sanction pour briser la volonté de l'homme et le brimer. Chose qui fait partie de la politique générale de la dictature de Ben Ali. » dit-il Une vague de changement s'est opérée sur le système de justice pénal dans sa variante internationale. Beaucoup de pays ont suivi cette évolution dont la Tunisie ce qui selon Me Néziha Boudhib, « était de la poudre aux yeux pour montrer que la Tunisie s'engage dans cette voie réformatrice. Notre système de justice pénale a observé des réformes concernant la question de la détention provisoire qui se fait avec une autorisation préfectorale. La visite médicale du détenu est devenu un droit tout comme celui d'informer la famille du détenu en cas d'arrestation. On demande à ce que des visites inopinées par des associations et des organisations soient possibles dans les lieux d'incarcération pour contrôler les conditions de détention qui doivent respecter les normes internationales en vigueur » dit-elle. La réforme pénitentiaire, judiciaire et celle du système policier feront l'objet de groupes de travail qui se tiendront aujourd'hui dans le cadre du colloque, aboutiront à des recommandations. Mona BEN GAMRA
Témoignages Farhat Rajhi, Président de la Haute commission des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : « La suspicion légitime du citoyen tunisien est à prendre en ligne de compte » « Les avocats montrent du doigt les magistrats et cela a un impact sur leur crédibilité vis-à-vis du citoyen qui n'a plus confiance en la magistrature, encore moins en le système sécuritaire du pays puisqu'on doute de la crédibilité de la police… la crise de confiance est à prendre en ligne de compte pour instaurer de nouvelles relations entre ces différentes parties sur de bonnes bases. Par ailleurs pour ce qui est de la question de la peine capitale, je suis pour son abolition. Je pense, en effet, que la justice est humaine et que l'erreur est humaine également. Un juge qui condamne un délinquant à la peine de mort peut se rendre compte après coup que cette décision n'est pas judicieuse.
Radhia Nasraoui, Présidente de l'Organisation tunisienne contre la torture : « Il faut repenser l'esprit de la justice pénale dans notre pays. » Pour le moment, je crois qu'on n'a pas trop avancé puisque les bourreaux sont toujours-là. Aujourd'hui Imed Trabelsi comparait devant le même juge que celui des yachts volés. Je trouve cela anormal. Il est inadmissible d'entendre des voix dans la salle le traitant de tous les noms. Je vous donne un autre exemple si quelqu'un se pourvoit en justice pour sévices on lui répond dans certains cas par la saisie de la plainte avec prescription du délit… la question de la torture est très délicate on ne peut pas dans certains cas donner des preuves puisque l'auteur du mal le fait en l'absence d'une tierce personne. Il faut repenser l'esprit de la loi en vigueur pour en élaborer d'autres qui aillent de pair avec les attentes du peuple. Il faut surtout, assainir la magistrature des anciens fomenteurs et corrompus. Taoufik Bouderbela, Président d e la Commission nationale d'investigation sur les dépassements et les violations « Les prisonniers ont des droits » « En ce qui concerne la condition des prisons, notre programme à venir, consiste à veiller à ce que les droits de l'Homme soient pris en ligne de compte depuis sa détention. Les prisonniers ont des droits, comme l'accès aux soins médicaux, l'hygiène, l'alimentation … »