Par Mohamed Amine Jamoussi expert comptable - En lisant l'article publié sur les colonnes de « le Temps » en date du 11/05/2011, sous le titre « chacun sa profession » écrit par le bâtonnier des avocats, une sensation de malaise m'a pris. Une sensation qui provient du fait que Monsieur le bâtonnier défend un projet d'amendement qui ne lèse pas uniquement les experts comptables mais également les comptables, les conseillers fiscaux, les huissiers notaires, les agents immobiliers, les agents de la conservation foncière et tous les Tunisiens qui auront un jour envie de faire un projet. Bien de professions pour que ça soit résumé en un conflit experts comptables – avocats. Sans rentrer dans l'encensement ou le dénigrement des professions, j'aimerais remarquer qu'il est vrai que la profession des avocats est noble comme tout travail non contraire aux bonnes mœurs ou à la réglementation. Il est toutefois bon de rappeler que les avocats défendent, de par le fondement de la justice l'indéfendable : les trafiquants, les tueurs, les dictateurs ; mais également les autres professions le font. Donc arrêtons l'encensement inutile. Concernant le projet d'amendement et notamment l'article 2 « qui dérange », il prévoit en gros que les avocats sont les seuls habilités à rédiger des actes de constitution des sociétés, procès-verbaux et tous genres d'actes à caractère juridique. M. le bâtonnier a inclus cette prérogative dans la compétence exclusive des avocats en se basant sur l'interprétation des articles définissant le champ d'intervention des avocats et des experts comptables. Toutefois, en lisant, ces deux définitions on ne voit ni dans l'une ni dans l'autre l'attribution de rédaction des actes. Ceci ne provient pas d'un oubli ou d'une manipulation du législateur mais constitue, à mon avis, une conséquence du fait que les actes donnant naissance à des obligations et des droits peuvent revêtir soit la forme d'acte authentique ( rédigé par des notaires) soit la forme de contrat sous seing privé ( rédigé librement par les parties ou par n'importe qui non spécifiquement habilité par la loi à le faire) Ainsi, affirmer que la rédaction des contrats est de la seule compétence des avocats du fait de leur formation constitue-t-elle une entorse à cette définition d'acte sous-seing privé ( statuts, procès-verbaux, contrat de travail, protocole de fusion) Aussi, l'article 2, de ce projet ne limiterait-il pas la liberté de l'investissement et des échanges économiques par le fait de créer un monopole, sans précédent dans le monde capitaliste, et n'augmenterait il pas sensiblement le coût des constitutions et autres opérations sur le capital ainsi que des opérations de restructuration tant nécessaires à notre économie. Que ferait alors un jeune promoteur qui a aujourd'hui la possibilité de créer sa société à l'agence de promotion de l'industrie sans frais autres que les frais légaux ? Que ferait un investisseur étranger habitué dans son pays à créer une société par Internet sans passer par un notaire, avocat ou expert comptable en l'obligeant à passer par un corps de métier dont une bonne partie des membres n'est pas spécialisée en droit des affaires. Quid des services juridiques des sociétés tunisiennes en activité à qui leur direction confie, entre autres, la rédaction des actes sous-seing privés et dont les salariés ne sont pas tous avocats ? La question n'est pas donc de «clamer haut et fort que l'expert comptable n'est pas juriste » mais plutôt est ce que rédiger des actes sous-seing privés nécessite un professionnel de droit ou plutôt, comme le comprendrait le commun des mortels de la définition d'un acte sous-seing privé, c'est un contrat écrit librement par les parties. D'un autre côté, aucun expert comptable qui se respecte ne percevrait des honoraires pour un conseil juridique par le conseil juridique car le conseil juridique est de la compétence exclusive des professionnels du droit mais il se doit de prodiguer des conseils préliminaires à ses clients de par sa formation et son mandat juridique et financier. Le conseil juridique n'inclut donc pas la rédaction des actes. Egalement, il est vrai que la loi accorde au professionnel de la comptabilité une exclusivité en matière comptable mais cette exclusivité ne fait pas entrave à la liberté d'investissement car chacun est libre de tenir sa comptabilité, d'arrêter ses états financiers, de payer ses impôts sans faire recours à un corps de métier particulier. L'intervention du professionnel de la comptabilité est nécessaire pour garantir la fiabilité de l'information produite par l'investisseur concerné et assurer ses partenaires quant à sa santé financière. En aucun moment, l'intervention d'un corps de métier quelconque dans la rédaction des actes ne saurait donner une fiabilité accrue, du moment qu'il s'agit d'un consentement des deux parties régissant leurs intérêts à eux D'ailleurs, le législateur qui, étant plus ou moins harmonieux en la matière, a accordé des délais de régularisation en cas de faute grave entachant la constitution des sociétés pour laisser cette étape facile d'accès à tout citoyen. Notre Partie a longtemps souffert à cause des dérives de ses enfants avides et profiteurs et elle a également toujours donné naissance à des enfants valeureux, reconnaissants et sages. En ce moment charnière de son histoire, notre Tunisie a besoin d'abnégation, de sagesse et de cohésion. Donnons lui ce qu'elle mérite, nos enfants nous en remercieront.