Les sondages d'opinion, aujourd'hui on y croit, un peu beaucoup ou pas du tout. Il faut dire que pour l'heure la confiance en les institutions de sondage n'est pas au beau fixe vu qu'on est submergé quotidiennement par des chiffres qui fusent de tous bords, qui se disent fiables mais se contredisent à tout bout de champ. C'est du moins l'avis de l'universitaire Mohamed Kadhem Kilani, professeur à l'Institut des hautes études commerciales (IHEC) rencontré lors d'une conférence tenue hier au ministère des Affaires de la femme. ‘'Focus groupes'' Notre interlocuteur a montré, preuve à l'appui, que concernant les sondages d'opinion il n'est pas seulement question de marge d'erreur allant entre 3 à 5 % mais d'une défaillance technique et éthique dans la manière de récolter les informations. « Les Tunisiens ne sont pas outillés pour réaliser des sondages fiables. On n'a pas la chance de pouvoir travailler normalement sur une population mère.» nous confie-t-il en ajoutant « Les enquêtes coûtent cher pour être réalisées. En plus, on nous livre des données décalées qui ne sont plus valables au moment où le sondage est rendu public. En trois mois, en moyenne, la personne interviewée peut changer d'avis. Il faut se mettre à l'esprit que la réponse d'un interviewé n'est jamais finale. » La solution ? Elle est, selon notre interlocuteur, dans la réalisation de « focus groupes », une technique qui permet de sonder l'opinion d'un échantillon de personnes dans l'immédiat. «Dans ce cas, on travaille sur l'inconscient et non pas au niveau situationnel.» dit-il. A une question qu'on lui a posée quant à la fiabilité des sondages à l'étranger le spécialiste nous a répondu que ces pays nous ont devancé et sont mieux outillés que nous. Mohamed Kadhem Kilani invoque l'exemple de la mesure de l'audimat, un dispositif qui coûte énormément cher pour pouvoir, par la suite, mesurer le taux d'écoute des émissions. Des sondages fiables… oui, mais Habib Fourati donne un autre son de cloche, puisque les sondages peuvent être fiables s'ils sont réalisés selon une plateforme scientifique. Le conférencier et spécialiste des sondages à l'Institut national de la statistique (INS) a énuméré les principes de base de réalisation d'un sondage fiable. «On en peut pas se contenter de réaliser un sondage d'opinion en posant des questions aux passants devant une grande surface. Les interviewés, il faut aller les voir chez eux. Dans les endroits les plus reculés du pays selon le principe du panel.» fait remarquer notre interlocuteur qui continue «Le sondage par choix raisonné dont la méthode des quotas peut donner des résultats exacts si jamais on y adopte des principes de base. Il faut pour commencer prendre en ligne de compte les variables de contrôle tels que les groupes d'âge, les niveaux d'instruction de la population, le statut matrimonial, les catégories de la population (élève, étudiant, femme au foyer, actif en chômage, actif occupé, retraité, etc.). Habib Fourati considère que le choix du panel ou encore de l'échantillon se fait à partir des districts qui sont au nombre de 31 730 en Tunisie. Pour en avoir un échantillon de 2000 personnes, il faut en trier 100 points de chute dont on choisit 20 personnes selon des variables socio-économiques. Il faut également se déplacer pour rencontrer les interviewés chez eux. « Dans un échantillon de 2000 personnes on aura, par exemple, 1360 urbains et 640 ruraux, 709 personnes non actives, 636 femmes au foyer, 35 élèves, 101 étudiants et 89 retraités, » dit-il. Et qu'en est-il des sondages d'opinion orientés vers la politique auxquels se livrent les sociétés de sondage ? D'aucuns considèrent en effet, qu'au final ils désorientent les Tunisiens lesquels ne savent plus à quels chiffres se vouer. Selon Mohamed Kadhem Kilani «On se demande, aujourd'hui, qui sont derrière les sondages d'opinion sur la politique. Qui les commande pour orienter l'opinion publique.» Il y a lieu de remarquer dans la foulée qu'en dehors d'un cadre réglementant ces sondages d'opinion les spécialistes de la question continueront à détenir l'information chiffrée et à imposer leur vision des choses. La dictature des sondages d'opinion : on y est. En plein dedans.