L'image aura été un élément déterminant dans la chute des dictatures en Tunisie, en Egypte et espérons-le en Syrie, au Yémen et en Libye. L'événement n'est pas inédit en soi, la chute de Ceausescu aura été la première révolution télévisée de la fin du siècle dernier. La télévision reste un point de vue univoque sur la réalité, même si les images de Timisoara et de Bucarest étaient émises par une télévision libérée .Nos révolutions ont apporté quelque chose d'impensable il y a encore quelques années, l'instantanéité de l'information et son ubiquité. Facebook est devenu en cette semaine du 7 au 14 Janvier, la plus grande télévision du monde avec un million de correspondants disséminés un peu partout sur le territoire de la Tunisie, qui diffusent en direct à leur corps défendant, des images glanées ci et là témoignant de la folie meurtrière d'un régime aux abois . Les téléphones portables et Facebook auront eu raison des canons des dictateurs moribonds. Des images parfois tronquées, à la limite de la visibilité, d'une foule compacte filmée de dos affrontant à mains nues les forces de l'oppression. Filmer dans cette situation, ne relève plus de la seule volonté de témoigner mais devient presque consubstantiel à l'acte de manifester. A la fois acteur et témoin de la manifestation à laquelle il prend part, le manifestant en devient en quelque sorte l'auteur et plus tard sur Facebook, le spectateur de ses propres images. Assumer autant de rôles, aussi naturellement, là réside l'héroïsme de ces milliers de jeunes qui ont bravé la mort et ont affranchi tout un peuple de ses peurs. Ces images constitueront la mémoire des années à venir, les historiens les interrogeront et les Tunisiens pourront y retourner pour se rendre compte de la grandeur de ce qu'ils ont réalisé. Le destin de ces images est de témoigner, si elles sont premières, vraies, elles ne se substituent pas pour autant au travail nécessaire des Arts, le septième en premier lieu. Cette distinction s'impose à un moment où les Révolutions arabes suscitent l'intérêt de plusieurs festivals de par le monde. Des projets de co-production avec de jeunes réalisateurs voient le jour, donnant l'impression que le cinéma arabe doit son existence à ses révolutions. Ce volontarisme est miné dans la mesure où il crée une pression sur les cinéastes et oriente des cinématographies entières vers les voies de l'information. C'est une question de temporalité, l'information se saisit de l'instant, l'art a besoin de cette distance nécessaire, de ce travail de sédimentation de l'Histoire pour déployer une vision sereine et distanciée de l'actualité. En ce moment révolutionnaire, l'Art est difficile et risque de devenir mensonger s'il est en plus conditionné par une demande extérieure. Nos cinéastes ont une responsabilité historique, celle de la sincérité dans la représentation de la Révolution. Celle-ci doit être préservée de toute entreprise mercantile destinée à en faire le Label de la cinématographie nationale. L'expérience de la Révolution est plurielle, comme l'a été de tout temps la Tunisie. La chance historique qu'ont les cinéastes de l'après quatorze Janvier, est de pouvoir appréhender en toute liberté et en dehors de toute tutelle, les réalités de la Tunisie nouvelle pour en faire un monde qui s'accorde à leurs désirs (et aux nôtres). Qu'ils prennent le temps de la maturation quitte à rater (momentanément) le train des subventions.