Dans sa toute dernière conférence de presse, le Ministre des affaires sociales a annoncé un ensemble de mesures visant à venir en aide aux familles nécessiteuses dont le nombre officiel s'élève à 185.000. Ce sont ces gens qu'on appelle chez nous « zouaoula », pluriel de « zaouali » terme qui, dans notre langage de Maghrébins, porte une charge pathétique nettement plus forte que le qualificatif « f'qir » (pauvre). En principe, le « zaouali » est incapable tout seul de subvenir à ses besoins vitaux. S'il a des enfants, il n'a pas les moyens de leur fournir le strict nécessaire. Son calvaire est quotidien et dure toute l'année quand ce n'est pas un destin. Ce n'est pas un mendiant, ce n'est pas un marginal ; c'est plutôt quelqu'un qui travaille, qui lutte pour le pain de sa famille ; mais qui peine à satisfaire le minimum en raison de son faible revenu et de la cherté des biens qu'il s'efforce de procurer aux siens. Dans notre rubrique « Le Couffin de la ménagère », on réalise à chaque fois combien il est difficile pour un « zaouali », à cause des prix actuels des denrées élémentaires, de nourrir décemment les siens qu'il se trouve souvent obligé de priver de viande et de fruits et parfois même de petits légumes. Les 75 dinars alloués récemment à chaque famille nécessiteuse par le Ministère des Affaires Sociales représentent dans un ménage tunisien moyen les dépenses ordinaires de deux et dans le cas le plus heureux de trois jours seulement. Ne parlons ni d'habillement, ni d'argent de poche, ni de soins de santé, ni de loyer, ni d'électricité ni d'eau : pour la nourriture et le transport seulement, cette somme est à peine suffisante. Dans une famille de 4 membres et pour avoir sur la table de Ramadan le minimum des mets habituels (chorba, brik, plat de résistance et dessert), il faut un budget quotidien d'au moins 10 dinars. La facture devient un peu plus salée quand on boit de l'eau minérale et si l'on s'offre le luxe d'une boisson gazeuse, de quelques douceurs et d'un thé ou d'un café pendant la soirée. Avec les frais de déplacement, on dépasse largement les 20 dinars par jour. Dans le cas où l'un des membres de cette même famille n'est pas en âge de jeûner, il faut compter quelques dinars de plus pour son petit-déjeuner. Que dire alors si l'on a deux enfants en bas âge, au lieu d'un! Déjà, le Tunisien moyen peine donc à s'en sortir avec un salaire de 600 et 700 dinars! Il est « zaouali » par la force des choses. Que peut-il en être alors de celui qui perçoit moins de 250 dinars par mois. Les miettes, jusqu'à quand ? Le vrai « zaouali » tunisien est un père (ou une mère) de famille qui subvient seul (e) aux besoins de sa famille. Ses enfants sont soit trop jeunes pour travailler, soit en recherche permanente et désespérée d'emploi. L'autre soir, pendant que de nombreux Tunisiens s'empiffraient d'aliments divers à la rupture du jeûne, la télévision montrait une famille de trois membres qui survit grâce à une pension perçue par la mère laquelle ne pouvait servir à ses enfants, ce jour-là, qu'un plat de macaronis sans viande ! Cette femme relativement âgée et très malade nourrit deux gaillards visiblement chômeurs et dont l'un est marié ! Voilà un exemple de ce qu'on pourrait appeler « zouaoula ». Les enfants scolarisés de ces indigents et malgré toute la bonne volonté qu'ils mettent aux études atteignent rarement le baccalauréat. L'école, le lycée et l'université coûtent de plus en plus cher et les 30 dinars promis à chaque élève issu des 185.000 familles nécessiteuses tout comme les 100 dinars octroyés à chaque étudiant représentent peu de choses par rapport à ce qu'il faut acheter à la rentrée et pendant l'année scolaire. L'Etat a ses projets pour aider les plus démunis et leurs enfants mais il compte aussi sur des initiatives privées pour soutenir son effort solidaire. Puissent nos entreprises bénéficiaires qui dépensent des milliards dans des spots publicitaires incroyablement « frustrants » pour les plus pauvres de notre société, investir chaque mois, chaque saison, chaque année dans le social et l'humain. Dans la Révolution aussi : car si le fossé continue de se creuser entre le nanti et le « zaouali », celle-ci aura échoué à atteindre l'un de ses objectifs primordiaux. Les augmentations consenties au profit des travailleurs du secteur privé sont-elles salvatrices pour ces « zouaoula » ? Comme à l'accoutumée, elles n'auront que l'effet d'un très faible antalgique. Parce que contre la flambée des prix et la cherté générale de la vie, le « zaouali » du privé comme celui du service public ont besoin d'un « traitement » plus conséquent. A la rigueur, on devrait freiner la hausse des prix en accordant les majorations dans leurs salaires. En effet, le « zaouali » n'a même pas de vélo pour rattraper ces prix qui grimpent à la vitesse d'une 4x 4. Tout le monde le sait, le syndicat des patrons en premier. Mais on dirait que tout le monde veut faire perdurer le supplice du « zaouali », notre Sisyphe à nous ! Voire même de multiplier le nombre des « zouaoula » en Tunisie ! D'ailleurs la paupérisation de notre classe moyenne est une conséquence dramatique de cette inadéquation entre la flambée des prix et la régression continue du pouvoir d'achat de la couche sociale majoritaire. Pour les candidats aux élections du 23 octobre prochain, la réussite de leurs programmes respectifs passe inévitablement par la résorption du nombre des « zouaoula » en Tunisie. Malheur à eux s'ils tournent le dos au « zaouali » ; il finira tôt ou tard par les renverser ! Badreddine BEN HENDA daassi [email protected] lili [email protected] sihem [email protected] taieb nouri [email protected]