A un moment donné, toute l'attention a été portée sur les « programmes économiques » des partis politiques prétendant à une place sous le soleil de la Constituante. Personne n'avait, alors, inventé la lune en évoquant « le chômage, l'emploi, le développement régional… », et pas mal d'autres termes qui représentent en effet les plaies de Tunisie post-dictatoriale. Mais en réalité, très peu d'idées et de solutions ont émergé. Les partis politiques en déficit, pour beaucoup d'entre eux, de compétences capables de concevoir « un plan de sauvetage », avec une administration bourrée d'anciens barons du RCD qui profitaient du système à leur guise, savent très bien que leur marge de manœuvre reste réduite, ajouter à cela un défaut ingéniosité précaire. Alors, il revenait à l'Etat, et notamment au gouvernement de transition, de faire appel à « des compétences tunisiennes venues de l'étranger pour contribuer au sauvetage de ce qui pouvait rester de l'économie nationale» afin de féconder un Plan. D'un Plan Marshall pour la Tunisie, on a essayé de jongler avec les mots pour nous flanquer enfin d'un Plan du Jasmin, sorti, comme le disent certains économistes, du fonds des chambres closes et sans aucune concertation préalable avec les autres parties concernées. Le Plan du Jasmin, à couper le souffle Puis vint le Sommet de G8 à Deauville. Avec Béji Caïd Essebsi, Premier ministre, on avait délégué Mustapha Kamel Nebli, gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, Jalloul Ayed, ministre des Finances, Yassine Brahim, alors ministre des Transports et de l'Equipement, mais qui ne cachait pas ses ambitions politiques, Said Aydi, ministre de la Formation Professionnelle et de la Formation, sans oublier l'illustre ministre du Commerce et du Tourisme, Mahdi Houas. Tous ces responsables résidaient à l'étranger. Ils devenaient opérationnels dès le 15 Janvier. On ne peut que saluer. Mais, l'actuel vécu du Tunisien, et de l'économie tunisienne, ne peut que leur être étrange, et à des degrés moindres bien évidemment. Confier la présentation d'un « plan de sauvetage de l'économie tunisienne » par cette panoplie de compétences devant les chefs des Etats les plus riches, ne remonte pas au degré du risque, mais disons qu'une grave crise de confiance les a aidés à monter aux devants de la scène. « Le Plan du Jasmin » qu'on a fini par apprécier du côté des responsables des G7 et de la Russie, repose sur quelques idées simples. Injecter dans les veines de l'économie nationale le montant de 120 Milliards de dinars, sur cinq ans. Comme cela a été à maintes fois expliqué, 100 milliards de dinars seront des « fonds propres », et les autres 20 Milliards seront sous forme d'investissements, de pays et d'institutions financières internationales. Soient les mêmes partenaires de jadis. Selon le ministre des Finances, ce plan repose sur deux piliers. La Caisse de Dépôts et Consignation (CDC), que l'ancien régime commençait déjà à mettre en place avant de faire ses valises, et le Fonds Générationnel. La CDC résorbera une bonne partie de l'épargne nationale, 70 Milliards de dinars, et devra en premier lieu soutenir les grands projets d'infrastructure. Le reste devra venir d'un secteur privé qui ne dispose que d'un cash flow de 5 milliards de dinars, dont seulement 1.5 milliard de dinars convertible en investissements, sur le court terme. Le Fonds Générationnel devra avoir un fonds de roulement de 5 milliards de dinars provenant de « la privatisation des entreprises dans le capital desquelles l'Etat détient des parties ». Le Fonds Générationnel aura pour essentielle mission de financer les projets présentés par les jeunes promoteurs et par le secteur privé « il leur sera une réelle force de frappe », dit Jalloul Ayed, selon lequel « il existe actuellement 8000 dossiers approuvés par la BTS (Banque Tunisienne de Solidarité) et la Sotugar (Société Tunisienne de Garanties), mais qui manquent d'autofinancement ». L'idée est donc claire, il s'agit d'un Fonds qui touchera à différents autres fonds sectoriels et qui, en principe, pourront procurer ces autofinancements aux projets présentés par les jeunes en chômage ou aux acteurs privés manquant de financement. Les fonds provenant par la suite des bailleurs de fonds serviront quant à eux à « soutenir cette démarche ». Pour créer un poste d'emploi stable, explique encore le ministre des Finances, une enveloppe de 50 mille dinars est nécessaire. Multipliez ces 50 mille dinars par le nombre de 700 milles chômeurs, et vous aurez la somme de 40 à 50 milliards de dinars pour créer autant d'emplois. Plus loin, on trouve la structure du marché du travail en Tunisie. Le désenclavement existant entre le produit des différentes universités et institutions d'enseignement est d'autant plus actuel du moment où le contenu à valeur ajoutée de l'économie tunisienne ne dépasse pas les 20%. Beaucoup de chefs d'entreprises veulent à la fois le beurre et l'argent du beurre en préférant employer des ingénieurs, à titre d'exemple, auxquels seront à même confiée la tâche de rédaction de certains papiers administratifs. A tout cela s'ajoute l'épineux problème des disparités entre les régions, d'où l'idée de décentraliser la décision au profit des autorités locales ainsi que l'intention de créer des régions autonomes et interdépendantes. On ne sortira pas de l'auberge, tant que.. ! Il ne faut cependant pas insulter l'avenir. Personne ne peut présumer sur les lendemains. Si les partis politiques postulants au pouvoir adopteront ces projets, ou est ce que toutes ces prophéties seront reléguées aux oubliettes, à leur tour. Mais ce qui est encore sûr, c'est qu'on n'est pas encore sorti de l'auberge et du « mic- mac ». La Tunisie, et depuis des siècles a toujours été la victime de ses propres enfants, de « Khaznadar » à « Ben Ali et les 40 voleurs », les ressources du pays ont toujours été pillées, au vu et au su de tout le monde et avec la bénédiction de l'administration qui faisait la sourde oreille. Et si aujourd'hui, et dans le contexte que nous vivons, on ne réussit pas à instaurer les bases de la bonne gouvernance, on ne fera pas long chemin. Qui va contrôler la bonne gestion de ces fonds qui seront alloués dans tous ces projets ci-dessus mentionnés ? Le déficit de confiance qui s'accapare du Tunisien lambda est de plus en plus manifeste, et les campagnes de matraquage n'ont pas vraiment réussi à faire changer grand chose. Sans trop philosopher, l'économie tunisienne a réussi à franchir pas mal de caps, et le niveau de vie des Tunisiens s'est considérablement amélioré au cours des dernières décennies, mais ce qui a flanché, c'est le manque de justice sociale et l'inégalité dans la répartition des richesses. Le manque d'ingéniosité est à son tour apparent dans la précarité d'initiatives devant mettre aux avant-gardes l'innovation technologique, vrai moteur de croissance dans les années à venir. Et l'on n'a pas à rougir si l'on s'inspirer d'autres expériences réussies. La prospérité dans les pays du Nord de l'Europe, par exemple, n'a qu'une seule origine, outre le dévouement de leurs citoyens, c'est que dans ces pays, malgré leurs richesses, on ne dépense aucun sou de l'argent du contribuable d'une façon mal placée. Et pour veiller sur ceci, des structures entières n'ont d'autre mission que de surveiller. Evincer un ministre ou un haut responsable pour avoir reçu, par exemple, une montre en guise de cadeau, aura-t-il un jour lieu en Tunisie ? On en est encore loin du moment où les ministères et administrations publiques sont toujours contrôlées par les « restes » de l'ancien système. On en découvre chaque jour du nouveau.