L'information ne pouvait pas passer inaperçue : le programme du gouvernement de créer 70 000 entreprises en cinq ans (2005-2009) marque le pas. Les résultats des deux premières années sont, en effet, très en deçà de l'objectif assigné : soit la création de 14 000 entreprises par an. Pis : malgré les mesures incitatives prises à cet effet par le gouvernement, le nombre d'entreprises créées, tous les types et formats confondus, n'atteindrait même pas le quart de ce chiffre. Or, et les économistes sont unanimes sur ce point, sans une hausse conséquente de l'investissement privé, aussi bien intérieur qu'extérieur, notre pays aurait du mal à accroître son rythme de croissance économique de 5% actuellement à, au moins, 7%, taux nécessaire à la résorption de la demande additionnelle d'emploi, en hausse exponentielle à cause du baby boom des années 1980, et à la réduction du taux de chômage des 14 à 15% actuels à 10 % en 2009 : objectif ambitieux, mais pas irréalisable, que s'est assigné l'actuel gouvernement. On pourrait gloser longtemps sur les raisons de cette apathie des investisseurs ou, mieux encore, identifier les obstacles qui empêchent le rythme de création d'entreprises de passer à la vitesse supérieure : la conjoncture internationale, la bureaucratie locale, l'opacité de certaines procédures, le manque d'engagement des banques, la faiblesse - ou l'inadéquation - des instruments financiers disponibles, bref le climat des affaires qui, selon les doléances de certains, n'inciterait pas à faire le pas... Mais, dans le domaine des affaires, où l'imagination et l'innovation sont les gages du succès, ne doit-on pas avoir le sens du risque et le goût de l'aventure ? Dans un environnement de plus en plus ouvert à la concurrence, ne doit-on pas aussi, pour espérer devancer ses concurrents potentiels, faire preuve d'esprit d'initiative, d'audace et de volontarisme ? Notre secteur privé, qui est né à l'ombre de l'administration publique, se nourrissant longtemps de ses générosités, de ses facilitations voire de ses facilités, peut-il continuer à agioter idiot, à chercher la sécurité maximale, à se complaire dans l'attentisme et à ne s'engager que sur des sentiers battus et des terrains balisés ? Sans en appeler au patriotisme économique, car nos hommes d'affaires sont suffisamment patriotes pour qu'on n'ait pas besoin de leur rappeler leurs devoirs envers un pays qui leur a tant donné, nous estimons que la Tunisie a besoin aujourd'hui d'une véritable mobilisation générale contre le chômage. Ce fléau, qui touche de plus en plus les diplômés de l'université, est souvent une source de désespoir et de colère. Conjugué à d'autres facteurs, il peut même faire le lit de l'extrémisme. Tous ces jeunes compatriotes, qui ont succombé aux sirènes du djihadisme, en Bosnie, en Afghanistan, en Irak et ailleurs, et dont beaucoup ont été arrêtés, au cours des cinq dernières années, par des services de sécurité étrangers et livrés aux autorités tunisiennes, nous apportent hélas la preuve que l'horizon bouché et l'absence de perspective sont les meilleurs agents recruteurs des réseaux terroristes. Aussi, en contribuant à la relance de la machine productive, à l'accélération du rythme de croissance, à la hausse générale des revenus et à la reprise de la consommation, nos hommes d'affaires aideront-ils à résorber le chômage, à redonner de l'espoir aux jeunes et à les prémunir contre l'angoisse du lendemain et la tentation de l'extrémisme. Il va sans dire que l'investissement extérieur, s'il est toujours le bienvenu, ne saurait, à lui seul, répondre aux besoins du pays en matière de création de richesses et d'emplois, et qu'un sursaut national, dans ce domaine, est aujourd'hui d'une grande urgence. Encore faut-il que nos investisseurs se défassent des calculs égoïstes et à courte vue et qu'ils fassent preuve de plus de générosité et d'audace. C'est l'avenir de nos enfants qui est en jeu...