Pointant un doigt menaçant vers son peuple, Seïf Al Islam (quel anti-symbolisme !), déclarait : « Attention, la Libye n'est pas la Tunisie ». Après la fuite de Ben Ali, Hosni Moubarak, qui ne voyait pas sa pyramide s'effondrer autour de lui, nous prodiguait indirectement des leçons de démocratie. Pour lui, le 14 janvier fut une « Intifadha » et non une Révolution. Aujourd'hui, l'armée de Tantaoui, tire encore sur les foules. Et, bien sûr, « l'indomptable » Bachar Al Assad rappelait, presqu'à la même époque que la « Syrie ce n'est pas la Tunisie ». Avant-hier, la cerise sur le gâteau est venue du Maroc : « Le mouvement islamiste ayant le vent en poupe et, vraisemblablement, destiné à « envahir » le Parlement scandait : « Nous ne sommes pas la Tunisie ». Bien sûr, il y a là une fronde, à l'endroit d'Ennahdha et aussi, revers de la médaille, l'éternelle allégeance à Sa Majesté « Emir Al Mouminine par hérédité ». Nous savions que le Monde arabe, où le mot « Démocratie » est une incantation lyrique et un luxe impie, nous a toujours voué une méfiance péremptoire. Et ceci depuis le XIXè siècle, quand Tunis s'imposait comme l'épicentre du réformisme de la pensée musulmane et arabe. La méfiance s'est accentuée aux événements du 9 avril… qui déclencha les valeurs du nationalisme et de la lutte contre la colonisation avant d'atteindre son paroxysme avec la puissance du mouvement syndicaliste dans la lutte nationale avec Farhat Hached. On nous a toujours traités en arabes périphériques et en musulmans subversifs. Et maintenant que la Tunisie a déclenché le détonateur du « Printemps arabe », décrétant par là même, comme par un effet domino, la fin de « l'exception arabe » (l'exception dictatoriale), nous serions curieux de connaître le sentiment de ces chers amis qui ont vu, avant-hier, et auparavant, le 23 octobre, s'installer la démocratie. La vraie. La première du monde arabo-musulman. En fait, nous vivons des moments exaltants. Les jeunes qui ont fait la Révolution et ceux qui ont lutté contre Ben Ali auront placé le fauteuil de la Tunisie dans le sens de l'Histoire. Nous n'avons pas su, durant de longues décennies de dictature, quoi faire de notre désespoir. Mais, aujourd'hui, nous savons quoi faire de nos espoirs.