De notre correspondant à Paris: Khalil KHALSI - Dans la ville Lumière, une salle s'obscurcit pour laisser s'illuminer des milliers d'images venues d'outre-mer. C'est au cinéma Reflets Médicis, pour les amateurs du cinéma d'auteur et des cultures étrangères – quand l'écran de cinéma s'ouvre comme un hublot sur d'autres cieux –, en plein Quartier Latin, que s'est tenue les 24, 25 et 26 novembre derniers la 3e édition du Festival du Film tunisien à Paris. Là où, plus que jamais, art et patriotisme battent ensemble la mesure de la beauté – dans la mesure du possible... Nouveau rendez-vous incontournable pour les Tunisiens de Paris, étudiants et intellectuels de tous bords, le Festival – lancé par l'association Jeunes Tunisiens (avec, à leur tête, le non moins jeune producteur Melik Kochbati, cf. « Un café à Paris » dans nos colonnes du Temps du jeudi 16 décembre 2010) – se veut, à la base, une galerie des productions audiovisuelles tunisiennes, tellement méconnues du public français (et occidental, étranger, en général), alors que bien des manifestations mettant à l'honneur les cinémas du monde (de l'initiative des ambassades elles-mêmes) acquièrent de plus en plus d'importance dans le Paris œcuménique. Œuvrant pour moins de marginalisation (et c'est le cas de la plupart des événements visant à faire connaître la culture arabe en Occident), et avec les moyens qui sont les leurs et sans le soutien qu'ils mériteraient (pour les anciens dirigeants du Ministère des Affaires étrangères, c'était le cadet de leurs soucis, pas seulement financiers, mais aussi culturels, intellectuels), les organisateurs de ce jeune festival se glissent finalement au cœur de Paris et arrivent à fédérer un public important – quoique pas très blond. Pourtant, en plein Printemps arabe (mais dont les feuilles semblent déjà tomber), l'occasion était on ne peut plus propice pour faire entendre les cris artistiques de cette jeunesse qui semblait revenue de tout avant décembre 2010. « Nous ne célébrerons pas la Révolution mais la Création tunisienne, ressort nécessaire à toute évolution », énoncent les organisateurs du festival. L'on ne se complaît donc pas d'une fierté qui tend à s'assumer sans s'assurer, car le processus de liberté était déjà en marche chez certains (jeunes) chevaliers du 7e art – il n'a pas fallu attendre que le martyr s'immole pour que l'on puisse le voir, c'est seulement que l'on ne l'entendant pas. Pour cette nouvelle session de la manifestation, mise en place presque un an après le séisme socio-politique censé transfigurer notre jeune Tunisie, l'on prend le parti de dévoiler le visage d'un cinéma tunisien déjà en révolution depuis quelques années. Jeunes Créé par des jeunes, ce jeune festival, essentiellement fréquenté par des jeunes, fait la part belle au cinéma des jeunes, car ce sont eux qui font la révolution dans le 7e art tunisien depuis quelque temps. La révolution n'est pas à entendre qu'au niveau politique, évidemment, car c'est avant tout un art qui tente de s'affirmer dans une position de rupture, de rejet, de déni face à un cinéma qui zoome sur les nombrils et au calibrage exotique. Ce sont des jeunes qui regardent plus loin que les frontières, les atteignent, les effacent – essaient de le faire. Des jeunes attachés à leur culture mais qu'ils dépouillent de toute sédentarité, des jeunes qui parlent toutes les langues du monde pour honorer celle des ancêtres et d'une terre qui les enferme autant qu'elle les rejette. Walid Tayaâ le rappelle durant la séance où est diffusée sa nouvelle réalisation intitulée « Vivre » : cela fait presque cinq ans que la production cinématographique tunisienne, du moins au niveau des courts-métrages, se tourne vers les préoccupations d'un peuple en train de se transformer en une bombe à retardement. Tenues à ce bâillon du silence (et de la censure, de l'autocensure), jusqu'à ce que le bâillon soit devenu arme – pierre, parole, cri –, les bobines défaisaient déjà le nœud de l'intérieur. Les jeunes parlaient du mal-être, du mal-vivre, du spleen de Tunis, des inégalités sociales, du désir de partir, de fuir. Les allusions à l'aliénation dictatoriale ne manquaient donc pas, mais déjà effrayées d'exister, d'être reconnues, attrapées, cependant que l'on pensait pourvoir remplir son devoir d'engagement – inhérent à toute œuvre artistique dans ce pays qui est le nôtre, dans ce monde en transformation, car autrement l'art aurait peu de raisons d'exister pour ce qu'il est uniquement – en laissant fuir un mot ou deux, une réflexion. Est en cela caractéristique de la scène de « Vivre », le court de W. Tayâa, quand la héroïne, travaillant dans un centre d'appels, semble entendre bouillonner, en elle et en ses collègues, la révolte qui devrait les pousser à élever leur voix ; et l'on entend un vers de la chanson de Mohamed Mounir tirée du « Destin » de Youssef Chahine, alors la femme se plaque une main sur la bouche. C'est ce cinéma-là que le Festival du Film tunisien à Paris voulait célébrer et primer. Les courts-métrages sont les premiers pas, mais déjà si grandes enjambées de jeunes réalisateurs, ou de réalisateurs jeunes, vers une entière prise de parole et d'images. Des courts-métrages parmi lesquels un jury professionnel et le public devait choisir, peut-être pas le meilleur, mais celui qui aurait été le plus à même de porter l'étendard d'un cinéma en pleine révolution. Kh. KH.
* Lire demain notre article consacré à certains coups de cœur du Festival du Film tunisien à Paris.