A l'occasion du premier anniversaire de la révolution tunisienne, Reporters sans frontières vient de dresser un bilan de l'évolution du secteur médiatique en Tunisie. Le rapport traite plusieurs questions cruciales touchant le cadre juridique, la décentralisation, les faveurs de la presse déjà existante, l'indispensable revalorisation de la profession, les nouvelles lignes rouges, la reprise du filtrage internet. De ce rapport il ressort que « l'indépendance des médias ne pourrait être garantie que par la mise en place d'un cadre juridique solide. Même si certaines améliorations pourraient encore être apportées aux textes, l'adoption des deux projets de lois (code de la presse et loi sur l'audiovisuel) lors du dernier conseil des ministres, avant les élections du 23 octobre 2011, pourrait permettre d'éviter le vide juridique ou l'application de lois en vigueur à l'époque de Zine el Abidine Ben Ali ». Le code de la presse, même s'il demeure imparfait, « doit aujourd'hui constituer un standard minimum de protection. Ce texte de loi consacre la liberté d'expression, principe qui devrait être clairement énoncé dans la future constitution. Désormais, seules les dispositions spéciales pour la presse devront s'appliquer et les dispositions contraires devront être abrogées». Ce texte ne pourra constituer une réelle protection de la liberté d'expression que s'il est accompagné de réformes en profondeur des systèmes administratifs et judiciaires. Les nouvelles autorités et l'administration, qui n'a pas été renouvelée au lendemain du 14 janvier 2011, doivent prendre des mesures afin de garantir pluralisme et indépendance ».Toutefois, RSF déplore « les récentes nominations à la tête des médias publics, annoncées par le Premier ministre le 7 janvier dernier, en contradiction avec les dispositions prévues par l'article 19 du décret loi sur l'audiovisuel n°2011-116 du 2 novembre 2011, constituent une violation flagrante du principe d'indépendance. Aussi la mise en place de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), qui doit supplanter l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (INRIC), structure consultative mise en place par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution (HIROR), est urgente ». Il y va de même pour la création de la commission d'octroi de la carte nationale de journalistes professionnels.Quant au sujet de l'Internet et des médias en ligne, il est insuffisamment traité dans le code de la presse. Bien que le principe de la liberté d'expression est consacré, la loi reste muette pour définir le cadre spécifique engageant et définissant la responsabilité des médias en ligne. Dans le chapitre décentralisation, les Tunisiens déplorent l'insuffisance des médias nationaux qui ne portent leur attention que sur l'actualité dans la capitale. Où est l'actualité régionale ? « En dehors de Tunis, à l'époque de Ben Ali, les seuls médias étaient des médias publics, afin notamment d'empêcher la propagation des mouvements de contestation sociale. Ainsi, cinq des six radios régionales étaient des radios publiques. L'apparition de nouvelles radios devrait permettre de dynamiser le développement du secteur, et de désenclaver les régions. Quant à la presse, les quotidiens et hebdomadaires nationaux, ceux-ci n'ont que rarement des bureaux en région, se reposant sur des correspondants locaux, dont l'absence de formation et le manque de professionnalisme déteignaient lourdement sur la qualité des informations transmises. »Pour combler les déséquilibres régionaux en matière de couverture médiatique, l'INRIC a recommandé au Premier ministère, le 29 juin 2011, d'accorder leurs licences à douze radios, dont huit en régions. Une meilleure couverture du territoire devrait être engagée dans le secteur audiovisuel, la deuxième chaîne de la télévision nationale, Al Watanya 2, ayant été transformée en Chaîne des régions le 2 janvier 2012. Pour les radios, les coûts de création sont élevés et les annonceurs ne se pressent pas. En septembre 2011, l'Office National deTélédiffusion a fixé à 110 000 dinars/an (57 000 euros) la taxe de diffusion pour une radio, qu'elle soit privée ou associative. Cette somme est jugée très élevée. « Seules les radios privées dotées d'un gros capital auront en effet la capacité financière de payer une telle taxe annuelle ». Plusieurs radios ont refusé de signer l'accord avec l'ONT, pour des raisons financières mais également de principe. Pour la presse écrite, seuls les anciens journaux tirent leur épingle du jeux, à l'exception du quotidien le Maghreb qui peut être considéré comme un ancien titre. Les anciens journaux continuent à bénéfécier de la publicité publique. Concernant la télévision l'ouverture constatée reste très fragile. L'Instance Nationale de Réforme de l'Information et de la Communication (INRIC) avait recommandé l'attribution de licences à cinq nouvelles télévisions. Parmi lesquelles, Al Hiwar Ettounsi TV et TVT ont commencé à émettre leurs programmes sur le satellite Nilesat mais aucune n'apparaît sur le canal hertzien. Par ailleurs, la profession a un besoin important de formation pour améliorer la technicité et le degré de qualification de ses acteurs.« Trop souvent mal formés, découvrant le dur exercice de la critique, certains journalistes manquent de professionnalisme dans leur manière d'aborder l'actualité et de traiter des sujets sensibles. Aussi, les demandes en termes de formation sont-elles très importantes », ainsi peut-on lire. Bien qu'il existe des conventions collectives et un syndicat actif, les difficultés financières des journalistes persistent depuis la révolution . Les lignes rouges prennent de nouvelles formes et sont « plus difficilement identifiables ». La mise à l'écart de Haythem El Mekki de la télévision nationale AlWatannia 1 en est une preuve.Un des principaux problèmes et entraves évoqués par les journalistes concerne l'accès à l'information, malgré le vote, le 26 mai 2011, d'une loi garantissant l'accès aux sources. La censure est indirecte et l'autocensure existe. Pour certains intégristes, la liberté d'expression s'oppose au respect de la religion. En témoigne les violences qui ont suivi la projection du film Persepolis sur la chaîne Nessma et le procès de Nabil Karoui, lundi dernier. Par ailleurs, la cour d'appel de Tunis ayant confirmé la décision du 27 mai 2011 du tribunal de première instance, d'interdire l'accès aux sites pornographiques, l'Agence Tunisienne d'Internet (ATI), seul point d'entrée d'Internet en Tunisie, devra donc mettre en place un système de censure et de filtrage. Reporters sans frontières s'oppose à une telle reprise de la censure et souhaite que les autorités tunisiennes privilégient la mise en place d'outils de contrôle parentaux.