Un documentaire de Hichem Ben Ammar est toujours un événement attendu. L'auteur de « Rais Labhar » et « Un conte de faits », nous revient avec « la Tunisie vote », un reportage de 50 minutes sur la journée historique du 23 octobre 2011. C'est un film émouvant où l'on rit et où l'on pleure car les images sont fortement imprégnées de l'ambiance de cette journée très particulière au cours de laquelle les Tunisiens ont fait preuve d'un civisme extraordinaire, montrant qu'ils ont toujours été prêts pour la démocratie. Fidèle à son parti pris de proximité, la caméra toujours sensible, débusque les sentiments des personnes, révèle l'intériorité des êtres et, le temps d'une interview éclair, les portraitures sur le vif. Ici, l'art du portrait est plutôt celui du croquis. D'emblée, un contrat de confiance s'établit entre la caméra et le sujet filmé tandis que des personnalités marquées et ancrées dans leur milieu apparaissent avec justesse, sans que les stéréotypes ne deviennent des clichés. Hichem Ben Ammar joue constamment sur le fil du rasoir. En créant une tension de bout en bout de son film, il accorde plus d'importance à l'intensité des propos qu'à leur contenu en tant que discours et prend le risque de construire son récit du 23 octobre en faisant de la répétition et de la redite un élément de base de l'écriture. En effet, la plupart des personnes interrogées déclinent la même idée. L'espoir, la joie, la fierté de redécouvrir une parole citoyenne reviennent comme des leitmotiv faisant de la construction dramaturgique une véritable gageure. Le pari est tenu puisqu'on ne s'ennuie pas une minute et qu'en donnant ses lettres de noblesseau micro-trottoir, on revisite un genre expéditif que les médias ont galvaudé. La caméra se faufile dans les bureaux de vote et s'accorde le temps de glaner ça et là les impressions et les commentaires en prenant en considération la diversité. D'un quartier pauvre à une banlieue moyenne, le film nous entraîne de villes en bourgades, formant un kaléidoscope représentatif de la Tunisie dans toute sa pluralité. Il était attendu que les citoyens parlent vrai car, ce jour là, les conditions psychologiques étaient réunies pour que l'expression fuse. La joie fait rayonner les visages. Tout resplendit. L'espoir bon enfant trouve des formulations percutantes. C'est justement l'authenticité des prises de paroles qui nous touchent, nous rendent disponibles à l'écoute la plus attentive, en nous faisant revivre la palette des sentiments ressentis en ce jour mémorable. La tendresse avec laquelle Hichem Ben Ammar fraternise avec les Tunisiens de tous bords ne peut que militer pour le rapprochement et la compréhension mutuelle des uns envers les autres. Ce que dégagent les intervenants c'est leur profonde humanité ainsi que le dénominateur commun de leur « tunisianité ». A ce titre, ils constituent les pièces d'une mosaïque éclatée. Respectueux de toutes les positions qu'il présente de manière équilibrée, « La Tunisie vote » n'en laisse pas moins apparaître en filigrane un point de vue d'auteur et des positions assumées à travers une lecture personnelle du réel. On sent néanmoins l'effort que Hichem Ben Ammar a dû consentir pour rester dans le consensus du cahier des charges de l'ISIE, qu'il a intériorisé sans pour autant s'effacer, soucieux de préserver son indépendance. C'est ce compromis bien trouvé qui fait de « La Tunisie vote » un exemple intéressant de communication institutionnelle. Ce film restera pour l'histoire un document restituant l'énergie de cette journée solaire qui nous a donné la certitude que l'espoir était au rendez-vous.