Le documentariste Hichem Ben Ammar a vécu les événements pré et post-14 janvier comme tous les Tunisiens. Il a choisi de poser sa caméra et de vivre le moment. L'envie de filmer ne lui est venue que plus tard. Le thème pour lequel il a repris ses lunettes cinématographiques est non moins important : les élections de l'Assemblée constituante qui ont eu lieu le 23 octobre. Hichem Ben Ammar n'est pas le seul à avoir voulu s'imprégner des images de la révolution avant d'en créer à son tour. C'est le cas de nombreux de nos réalisateurs qui ont estimé nécessaire un recul, une observation et une réflexion. Ce qui n'a pas empêché des films de voir le jour, quelque temps après le 14 janvier. Parmi ces derniers, rares sont ceux qui, selon Hichem Ben ammar, ont échappé à un manque de point de vue. Il explique cela par le fait que l'on ne comprenait pas la situation et qu'on ne connaissait pas les auteurs et les acteurs des événements. «Ces films sont au final faits pour la mémoire», ajoute-t-il. Sa contribution à lui est donc de filmer le 23 octobre. Le résultat est un documentaire de quarante-sept minutes intitulé Tounes tantakheb. Au départ, Hichem Ben Ammar devait filmer le processus électoral, pour un produit commandé par l'Isie et financé par l'ambassade des Pays-Bas. En plus de ce document interne à l'instance, à venir, le réalisateur a pu parachever Tounes tantakheb, entièrement consacré à la journée du 23 octobre. «Le but du projet est de garder une trace de cet épisode historique tout en évitant le côté rigide du format audiovisuel», explique le réalisateur. Et d'ajouter : «Le film servira également pour l'évaluation et le monitoring à l'Isie». Son approche puise son originalité en captant la fragilité de part et d'autre de la caméra, autant celle du documentariste que celle du sujet. Plus précisément, Hichem Ben Ammar dit avoir trois principaux paris : permettre aux gens de se comprendre au-delà du discours (s'entendre et se voir), donner une tonalité intimiste à un micro-trottoir et constituer un récit avec des redites. Auteur de nombreux documentaires dont J'en ai vu des étoiles (2006) et Un conte de faits (2010), aux sujets très variés, c'est la première fois que Hichem Ben Ammar s'intéresse à un thème purement politique, ce qui constitue pour lui une nouvelle expérience. Nouvelle, l'expérience l'est également pour de nombreux Tunisiens qui votent pour la première fois, en tant que citoyens libres de leurs choix. Dans la caméra des trois équipes qui se sont partagées les régions de la Tunisie, les gens sont sincères, leurs mots pleins d'émotions. D'où qu'ils viennent et quelles que soient leurs sensibilités politiques, ils disent tous voter pour la Tunisie et pour les générations à venir. Tounes tantakheb filme une journée qui a commencé assez tôt, avant même sept heures du matin, heure d'ouverture des bureaux de vote. Les Tunisiens font la queue avec beaucoup d'enthousiasme, voire d'euphorie. Puis, plus les heures passent, plus cette euphorie laisse place à la lassitude, la complainte, voire parfois, la déception. La caméra fait le tour de cette journée en captant l'attente mais surtout le vote avec tout ce qui l'entoure: la couverture médiatique, les observateurs internationaux, le visage des villes qui change le temps d'une longue journée décisive, dont les résultats commencent à se faire sentir... Dans ce sens, le film est aussi un essai d'analyse de ce que les urnes ont révélé plus tard. On peut même y déceler un questionnement sur la pertinence de ces élections. Un choix assumé par Hichem Ben Ammar qui tient à ce que son film soit une trace «non journalistique», qui restitue l'esprit et l'énergie de cette journée, tout en veillant à trouver un équilibre entre les couches sociales, à ce que les différentes régions et opinions soient représentées, d'une manière équitable et avec du respect. Chose qui ne fut pas facile avec une pléthore de matière faisant du montage une étape cruciale. Ce film qui parle avant tout des Tunisiens devrait leur être montré. Pour le moment, il a été remis à l'Isie «qui le rendra public une fois validé», selon Souad Triki, membre de cette instance. A suivre, donc.