Par Slimane Doggui - Ministre de l'Intérieur depuis bientôt un an, ce 4 février 2012 monsieur Claude Guéant déclarait : «Pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique». Monsieur le ministre s'exprimait devant les adhérents de l'UNI, l'Union nationale interuniversitaire, un syndicat étudiant proche aujourd'hui de l'UMP, l'Union pour un mouvement populaire, parti dont monsieur le ministre est membre, et dont Nicolas Sarkozy sera le candidat aux prochaines élections présidentielles. Devant l'émotion soulevée, le lendemain, Claude Guéant confirmait sur France-Inter que ses propos visaient l'Islam, en citant comme exemple «l'interdiction du voile intégral». Ce monsieur Guéant s'est fait remarquer, depuis son arrivée au ministère de l'Intérieur, par sa propension à stigmatiser, dès qu'il en a l'occasion, une partie des résidents étrangers, voire d'origine étrangère lorsqu'ils sont citoyens français. Cet artifice politique a pour but de séduire les Français fragilisés par la crise, égarés dans la mondialisation en cours, en perte de repères, dont une partie trouve actuellement refuge dans le parti du Front national, et dans la mouvance de sa présidente madame Marine Le Pen, fille de Jean-Marie, vieux leader d'extrême droite. Lien direct ou simple coïncidence ? Madame Marine Le Pen éprouve de grandes difficultés à obtenir les 500 signatures d'élus nécessaires pour que soit validée sa candidature. Le 7 février, à l'Assemblée nationale, monsieur Serge Letchimy, député de Martinique, membre du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, interpelle le Premier ministre, lors de la séance de l'après-midi réservée aux questions au Gouvernement. Monsieur Letchimy dirige le Parti progressiste depuis 2005. Descendant d'anciens esclaves, il est à la mairie de Fort de France le digne successeur du poète Aîmé Césaire et son héritier politique. Extraits du Journal des Débats, Assemblée nationale : «M. Serge Letchimy. Nous savions que pour monsieur Guéant la distance entre immigration et invasion est totalement inexistante (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et qu'il peut aisément entretenir la confusion entre civilisation et régime politique. Ce n'est pas un dérapage, c'est une constante, parfaitement volontaire. En clair, c'est un état d'esprit et c'est presque une croisade. Aucune civilisation ne détient l'apanage des ténèbres ou de l'auguste éclat. Aucun peuple n'a le monopole de la beauté, de la science, du progrès ou de l'intelligence (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). Mais vous, monsieur Guéant, vous privilégiez l'ombre. Vous nous ramenez jour après jour à ces idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration (Très vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), au bout du long chapelet esclavagiste et colonial («Voyou !», «Honteux !», «Scandale !» sur les bancs du groupe UMP).» D'un geste de la main, François Fillon, premier ministre, signifie au président de séance qu'il quitte l'hémicycle, et se lève, suivi par les membres du Gouvernement et par les députés de la majorité. Tous se dirigent vers la sortie, contraignant le président à suspendre la séance, ce qui ne s'était plus vu depuis les débats sur l'Affaire Dreyfus, en 1898, et qui a permis au Gouvernement, le 7 février 2012, de n'avoir pas à prendre position sur la déclaration provocatrice de son ministre de l'Intérieur. Dans un article publié le 10 août 2005, sous le titre Dialogue des civilisations, compréhension entre les religions et les idéologies, je rappelais qu'enfant j'avais ouvert les yeux sur un monde dominé par les colons français. La colonisation n'est pas seulement pour le colonisé l'exploitation des forces de son peuple, et de ses richesses, mais aussi un traumatisme culturel permanent, à se sentir imposer une culture et des principes profondément étrangers, dans une confrontation sans fin qui ne pouvait cesser qu'avec la libération du pays à laquelle je ne pouvais que prendre part. Car si l'on veut que les civilisations se rapprochent, cela n'est possible que dans un monde où chaque pays vit et approfondit sa démocratie, telle la Tunisie aujourd'hui engagée dans la voie du printemps arabe, celle du gouvernement par consultation, celle du pouvoir du peuple. Le pouvoir du peuple suppose que le peuple exerce le pouvoir en participant à la prise de décision politique et en la contrôlant continûment. Il suppose que tous les courants de pensée aient le droit de s'exprimer, afin que l'ensemble de la société dans ses réalités et sa diversité soit représenté, ce qui est l'un des premiers droits de l'homme en régime démocratique. La critique erronée de Monsieur Claude Guéant tient à son ignorance profonde de la civilisation arabo-islamique, et de son attachement scrupuleux et profond au verset coranique qui stipule «il ne peut y avoir de contrainte en religion». Elle est aussi profondément fausse que la thèse d'un soi-disant «choc des civilisations», développée en 1997 par Samuel Huntington, ce professeur de Harvard quelque peu horrifié par l'apparition de ce qu'il croyait être le spectre de l'islamisme. Seul le dialogue et l'échange sont porteurs de progrès et de la démocratie qui lui est attachée. Il est nécessaire de rappeler à Monsieur Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, de l'Outre-Mer et de l'Immigration, ex-secrétaire général de l'Elysée, chargé par le président Sarkozy de gérer son aile la plus droitière, pour ne pas dire extrême droitière, que est le but du dialogue des cultures. Le dialogue est un échange qui cherche à mettre sur la table des idées, afin qu'ensemble on puisse dégager quelques principes et quelques idées partagées par tous, afin de pouvoir au besoin engager des actions communes. Cet échange se fait entre des hommes issus de traditions, de modes de vie et de pensée, de langues différentes au départ. Ces différences ne peuvent s'inscrire dans un dialogue qu'à la seule condition de ne pas constituer chacune un obstacle à la compréhension. Ces différences doivent être prises en charge par une connaissance réciproque qui vaille reconnaissance. Reconnaissance des faits passés et vécus par chacun, en premier lieu. Le dialogue des civilisations est l'un des moteurs du progrès, et permet notamment la diffusion des innovations positives produites par les différents milieux culturels. Par là, il est l'un des vecteurs essentiels du perfectionnement de l'être humain dans son ensemble, et, par l'harmonisation à laquelle il tend, du progrès de ce qu'il est convenu d'appeler la civilisation. olympien HONNETE Lidddo