D'abord l'auteur : Un certain Yassine ESSID, historien médiéviste, professeur à l'université Tunis 1, un immense politique mais un politicien nul. Et surtout qui tient à le rester. Ne me disait-il pas un jour q'il lui arrive au matin de fêtes de retourner se cacher chez lui en courant dès qu'il aperçoit un notable du quartier, les yeux brillants, qui s'avance vers lui pour lui souhaiter bonne fête ? Pendant l'An I de la Révolution, il ne m'a jamais adressé la parole, moi qui suis selon son propre aveu son seul ami, rien que parce que je lui ai fait le tort de « m'occuper » de politique, a-t-il affirmé. Pendant les longues décennies de dictature, nos héros-emblèmes, n'étaient autres que Bouvard et Pécuchet, ces personnages drôles, grotesques, obsédés de recherche et collectionneurs de lieux communs qui font le bonheur des lecteurs de Flaubert. Voici donc l'auteur de l'ouvrage, Chronique d'une Révolution inachevée, paru récemment aux éditions MediaCom sur quelque 250 pages. Il s'agit en fait de la recollection d'articles parus sur les colonnes du quotidien La Presse de Tunisie quasiment gratuitement puisque comme tout Pécuchet qui se respecte, il croit dur comme fer que « l'argent ne fait que le bonheur des autres », a-t-il répliqué à son compère Bouvard qui lui reprochait de ne recueillir que des nèfles d'un travail si bien fait. Laissons tomber cette cuisine un peu mesquine, il est vrai, quand il s'agit de nourrir le lecteur d'une si haute littérature politique. Mon ami Essid qui a commis cet ouvrage procède avec l'altitude d'un instituteur, Topaze peut être, ou d'un médecin, docteur Knock sûrement pour disséquer le quotidien de notre post-14 Janvier 2011. Rien ne vaut pour cette pédagogie que la méthode du lexique, G comme Gouvernement ou F comme Finance ou encore S comme Souk. Sous ce titrage qui rappelle moins le dictionnaire que le bêtisier , Yassine Essid étale une cascade de figures ironiques tantôt , tantôt percutantes par la force d'une fine analyse des situations et des perspectives, des attitudes et des échecs, des illusions et du ridicule qui désormais loin de tuer ont fait vivre plus d'un. Nous avions l'habitude tous les deux, pendant la belle saison de nous installer dans les jardins d'un bel hôtel sur les hauteurs de Gammarth et de regarder avec envie MM. Béhi Ladgham et Hédi Mabrouk, défunts caciques des premières équipes de Bourguiba, en train de chuchoter l'histoire l'un dans l'ouïe de l'autre. Nous avons toujours rêvé de finir comme eux, planant sur les furies et les laideurs audibles ou lisibles de la vie politique au quotidien. Ce livre que vient de nous offrir mon inqualifiable complice, ce personnage musilien (essayez donc de lire L'homme sans qualité de Robert Musil et vous comprendrez !), ce livre nous rapproche peut être et rapproche ceux qui voudraient faire comme nous une si belle fin.