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La nuit des trois califes
La nouvelle de Youssef SEDDIK
Publié dans Le Temps le 30 - 03 - 2012

Le grand palais califal à Bagdad était enveloppé de la fraicheur automnale de la nuit. Les gardes effectuaient leur va-et-vient de routine devant l'immense portail illuminé de grandes torches, jusqu'aux splendides maisons de notables qui s'alignaient de part et d'autre du palais, tout au long des berges du Tigre. Hormis le lourd pas cadencé des vigiles et le léger clapotis des eaux du fleuve, le calme semblait total. À l'intérieur de la somptueuse construction imitant l'antique architecture des monuments de Babylone, tout était aussi endormi.
Dans sa vaste chambre aux tentures de soie et au mobilier d'ébène et de nacre, Khayzouran se dégagea silencieusement de son lit et enfonça les pieds dans ses escarpins dorés. Elle resta assise ainsi un long moment comme pour s'assurer que plus un mouvement n'animait le vaste château. Elle se leva lentement, sortit de sa chambre et se dirigea à travers un long couloir vers les appartements du calife Mussa al-Hadi, son fils. Devant la porte, son fidèle eunuque, Farah, l'attendait et lui fait signe que tout allait bien. C'est un géant d'une taille incroyable, au crâne rasé. Ses deux bras se détachaient de ses larges épaules comme deux épais gourdins. Elle précéda l'eunuque et n'eut qu'à pousser la porte, suivie de son complice, pour se retrouver à l'intérieur de la chambre califale. Mussa al-Hadi dormait dans un vaste espace au fond duquel s'élevait une haute alcôve cachée au regard par de légers rideaux de mousseline qui absorbaient le clair de lune. Elle fit quelques pas vers le lit et perçut le léger ronflement du dormeur. Elle écarta les rideaux et vit son fils à demi couvert d'un drap léger, le torse nu et luisant de sueur. Elle contourna le lit, se saisit d'un oreiller et l'approcha sans bruit de la tête du calife. Elle fit signe à son esclave de se tenir prêt, prit une longue respiration, et appliqua l'oreiller sur le visage de son fils. Au même instant Farah, l'esclave, s'abattit sur le dormeur, l'éteignit de ses bras puissants et les deux meurtriers attendirent longuement que la vie quittât lentement le corps du supplicié.
Khayzouran regagna sa chambre et Farah reprit son poste de garde devant la chambre du mort.
Cela faisait maintenant des années que Khayzouran nourrissait une haine de plus en plus ravageuse à l'encontre de son fils Mussa l-Hadi. Elle l'avait eu trop tôt, quand elle était à peine âgée de treize ans. Elle avait été achetée au marché des esclaves de la province du Yémen où une caravane l'avait amenée, à travers un long périple, de sa Berbérie natale. Les mœurs de l'époque offraient aux princes et aux dignitaires du pouvoir des femmes-esclaves destinées seulement à enfanter, en plus de leurs épouses légitimes choisies parmi les familles de la noblesse arabe. Khayzouran fut ainsi destinée au calife al`Mahdi, terne et veule personnage qui avait succédé au grand Al-Mansour.
Celui-ci, fondateur de Bagdad, nouvelle capitale après Damas, avait été le vrai bâtisseur de la dynastie abbasside qui venait de balayer, suite à un sanglant coup d'Etat, la prestigieuse dynastie omeyyade.
La naissance de son deuxième enfant, Haroun, apporta à Khayzouran, à vingt ans, le bonheur. Il la consolait de son immense ennui dans la prison dorée du harem où elle restait tout compte fait une esclave. Son époux le calife n'eut pas d'enfants de ses épouses légitimes et se résigna à assurer la continuité du califat en désignant Mussa al-Hadi puis Haroun al-Rachid comme ses héritiers. Au moment de ces dispositions testamentaires, le petit Haroun n'avait que dix ans.
À la mort de al-Mahdi, Khayzouran devenue veuve fut négligée par son fils aîné, le nouveau calife. Celui-ci allait jusqu'à donner des consignes aux vizirs et chambellans de ne pas hésiter à rappeler à sa mère sa basse condition d'esclave. Sa haine de l'enfant ingrat commençait à envahir son cœur de mère, d'autant qu'elle sut en interrogeant les plus bavards parmi les courtisans que Mussa se préparait à dénoncer le testament paternel qui faisait automatiquement de Haroun son successeur. Dès qu'elle se fut assurée de l'exactitude de ces informations, Khayzouran se promit de se débarrasser d'un fils qui n'avait jamais été pour elle qu'un étranger puis un ennemi.
Elle songeait à tout cela quand la voix aiguë du muezzin rompit le silence de l'aube et s'éleva de la mosquée du palais, appelant à la première prière du jour. Elle entendit des pas approcher de sa porte, sursauta et, en se redressant, noua son châle autour de son cou. Elle sourit quand elle vit apparaître dans l'encadrement de la porte son enfant chéri : Haroun.
-Mère, dit le jeune homme tout excité, je t'ai cherchée partout pour t'annoncer l'heureuse nouvelle. Marajil, ma concubine, vient de mettre au monde mon premier enfant. Il est si beau ! je l'ai prénommé Abdullah al-Maamoun, qu'en penses-tu mère ?
Elle ouvrit les bras pour l'étreindre et l'embrasser sur le front puis chuchota :
-Dieu soit loué Haroun… C'est bien la nuit des trois califes !
-Plaît-il, mère ? Que dis-tu ?
Elle le fit asseoir sur le bord du lit et lui fit un compte rendu détaillé du meurtre qu'elle venait de commettre.
-Un calife est mort, dit-elle, que vive le nouveau calife Haroun et que grandisse dans sa prospérité son successeur qui vient de naître, ton fils Al-Maamoun.
Le jeune Haroun quitta la proximité de sa mère, recula de deux pas et son visage s'assombrit. Sa mère ne manquait pas de lui manifester en toute occasion la haine que lui inspirait son aîné. Il avait souvent assisté à des scènes où elle réussissait à rejoindre le calife dans ses appartements ou dans la salle du trône pour se plaindre des humiliations et des contrariétés que lui faisaient vivre vizirs, secrétaires et gouvernantes. L'irritation de la mère atteignait alors son comble et elle piquait de véritables crises de nerfs quand elle voyait son fils l'écouter avec nonchalance ou, pis encore, en ricanant. Mais Haroun n'avait pas imaginé un instant que cette profonde inimitié entre la mère et le fils allait se conclure dans ce terrible drame. Il jeta sur sa mère un regard fait à la fois de mépris et d'horreur, se détourna d'elle et regagna ses appartements.
Le meurtre de son frère commis par leur propre mère lui fit complètement oublier le bonheur d'être devenu lui-même père. Depuis toujours il avait peur d'offenser Dieu. Un Dieu qu'il imaginait seulement coléreux, intransigeant et dispensateur de sanctions et de damnation éternelle. L'idée de devenir dès ce jour calife mêlait en lui le lourd sentiment de responsabilité et un goût insupportable de culpabilité.
S'il décidait de se taire, il deviendrait complice. À qui devait-il dénoncer sa mère puisqu'il détenait lui-même le pouvoir suprême ?et s'il ne rendait public un tel crime et ne punissait la coupable, comment pouvait-il se sentir calife légitime ? Il désirait tellement ce pouvoir et grande était sa vocation pour l'exercer selon le modèle de son grand père Al-Mansour dont il avait toujours vénéré le souvenir.
Le matin commençait juste à étendre sur la ville sa pâle lumière argentée quand il sortit du palais seul et sans gardes et se dirigea vers la maison de son ami et secrétaire Jaafar le Barmakide. La sentinelle postée devant la maison de son ami et secrétaire de Jaafar le reconnut et s'empressa de le conduire jusqu'à son maître. Dès qu'il fut annoncé, Jaafar sortit les bras ouverts et avec une sincère tendresse lui donna une longue accolade.
Les deux amis pénétrèrent dans un grand salon meublé de sofas et de vastes divans. Jaafar convia son illustre compagnon à partager avec lui le premier repas du jour servi sur une table basse, sculptée de motifs de l'art persan, oiseaux stylisés et arbustes fleuris aux fins feuillages. Sans toucher à un seul des nombreux mets succulents, Haroun entreprit de raconter d'une voix triste et monocorde la folle nuit où il avait vu sa mère lui offrir la royauté sur le cadavre de son propre frère.


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