Nous avons parlé hier, des ratages de la Nahdha au niveau de l'évaluation du sentiment et de la pratique religieuse dans notre pays, mais c'est surtout au niveau du développement politique et institutionnel que ce mouvement risque de dévier le plus. En effet, malgré l'appel de ses hauts dirigeants à une certaine « modestie », à jouer « humble », ce qui est d'ailleurs dans la pure tradition islamique inspirée par la « Sira » du Prophète vénéré, le fait d'avoir « écrasé » les élections du 23 octobre dernier et d'avoir assommés l'opposition démocratique et de gauche, en l'absence des destouriens sonnés par le K.O de leur silence complice du temps de Ben Ali, n'a pas manqué d'aiguiser les appétits des hommes d'appareil et de les mettre sur la voie classique du : « Pourquoi pas… nous » ! Il faut entendre par là et se rappeler que la logique historique des vainqueurs des changements politiques dans les pays arabo-musulmans, a toujours été, jusque-là, de remplir la chaise vide laissée par les précédents et de se « réapproprier » l'Etat dans un premier temps à travers le contrôle de l'administration et des mécanismes d'allégeance, puis le reste à savoir l'économie… la finance etc…, viendra en son temps ! De plus, par l'efficacité prouvée au niveau de la mobilisation politique, les cadres de la Nahdha bien encadrés et rodés par la clandestinité du temps de la dictature, ont démontré une maîtrise du terrain, de très grande qualité en plus de la ferveur de ceux qui aspirent au commandement politique. Ce phénomène, c'est ce que la science politique moderne, à travers les écrits de politistes Pareto, Max Weber et Wright Mills, désigne par « élites ascendantes ». Ces cadres mobilisateurs agissants ont commencé petit à petit à sous-estimer « l'adversaire », une pléiade mosaïque de partis pour la plupart « partis d'élite » pour ne pas dire des « salons des villes », déclassés et très peu incrustés dans le corpus social et populaire à l'exception de l'UGTT. Même celle-ci n'a pas manqué de subir quelques coups de pattes de défiance de la part des militants fougueux comptabilisés « Nahdha » à son corps défendant, bien sûr, mais seuls les naïfs peuvent le croire ! Du coup, l'ensemble du mouvement est de plus en plus tenté par un certain hégémonisme de fait qui jure avec le programme électoral initial de la Nahdha et surtout l'image diffusée du temps même de la dictature par ses leaders en exil à travers « Al Jazira », « Al Arabia », « France 24 » etc…, celle d'un parti qui veut instituer un système civil démocratique et pluraliste irréversible en Tunisie dès que Ben Ali aura été chassé du pouvoir. Par conséquent, en plus de ses militants et cadres, Ennahdha a pu profiter d'un élan de sympathie large et sincère auprès du peuple tunisien. D'où sa victoire sans appel aux élections de la Constituante. Le nouveau positionnement d'Ennahdha avec cette fois, l'accès magique à la « lampe d'Aladin », qu'est le pouvoir, va faire oublier à ses hommes de décision, qu'elle doit tout cela à Dieu, bien sûr (Koullou Hadha min fadhli Rabbi), mais aussi aux mécanismes démocratiques enclenchés par la Révolution et véhiculés par : (1) le gouvernement provisoire Caïd Essebsi, qui a joué le jeu sans traîtrise, ni coups bas, (2) l'instance supérieure de Yadh Ben Achour qui a légiféré plus et mieux qu'un Parlement élu dans le respect de la parfaite éthique démocratique digne des pays occidentaux, et (3) et c'est finalement la plus importante, à mon avis, la Commission « Jendoubi » qui a définitivement scellé le sort du nouveau paysage politique en intronisant la Nahdha au sommet de l'Etat. En retour, la Nahdha a gratifié l'ensemble de ces « chevaliers » de la République démocratique naissante, par une mise à l'écart en bonne et due forme. Même mieux, M.Caïd Essebsi est « traîné » devant les tribunaux par des revanchards de l'époque « préhistorique » du début de l'indépendance. Quant au professeur Ben Achour, une grande compétence nationale et internationale, il est sollicité de temps en temps, par une commission, dont le but serait, tout simplement, de remettre la rédaction de la future Constitution aux calendres grecques. Enfin, M. Kamel Jendoubi, après avoir fait sa traversée du désert, lui qui a été de toutes les luttes qui ont permis à la Nahdha de remporter les élections à la loyale, voilà qu'il revient dans les « bonnes grâces » du gouvernement provisoire pour reprendre en main la commission supérieure des élections mais à condition… et quelle condition : perdre son indépendance, puisque les autres membres de cette commission seront désignés par la Constituante majoritairement nahdhaouie. Un profane politique pourrait se poser une question bien simple : Si la « Commission Jendoubi » a été si mauvaise dans sa composition et son boulot, ses résultats aussi doivent être jugés mauvais ! N'est-ce pas ! Dieu pardonnez-leur… ils ne savent plus ce qu'ils font… Demain… on boucle… mes plumes sont martyrisées ! K.G