Pas de répit pour la société civile qui se démène continuellement pour s'imposer et avoir son mot à dire dans l'élaboration du projet de Constitution au sein de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC). Des ateliers d'écriture citoyenne de la Constitution sont organisés par le réseau d'associations Lam Echaml. A leur cinquième édition, le thème de la « Ville, Environnement et Patrimoine », était au centre des débats hier, à la Cité des Sciences à Tunis. Moncef Ben Slimane, Professeur d'urbanisme et président du collectif « Lam Echaml », rappelle que le réseau a vu le jour après le 14 janvier dans le but de participer à la construction de la Tunisie selon les valeurs de la République et de la modernité, dans un contexte très tunisien assez particulier. « La Tunisie est un pays qui a connu la construction de l'Etat depuis longtemps », dit-il. Le Réseau a organisé avant les élections du 23 octobre des caravanes de la citoyenneté pour inciter les citoyens à s'inscrire. Avec le début des débats sur la Constitution, le projet d'ateliers d'écriture citoyenne a été lancé. Ils ont plusieurs objectifs, informer, former, dialoguer et essayer d'avancer des propositions susceptibles d'être exploitées par des membres de la Constituante. A partir du quatrième atelier, des membres de l'ANC ont participé aux débats du Réseau. Après chaque débat, les recommandations sont transmises au président de l'ANC et à la commission concernée par le sujet. Le premier atelier s'était penché sur des projets de constitution de la société civile, le second sur ceux des partis politiques. Le troisième a été consacré aux libertés académiques et le quatrième à la Haute Instance des Elections. Moncef Ben Slimane ne cachera pas sa satisfaction de constater que le Chef du Gouvernement a déclaré lors de la présentation de son programme que « bientôt, il y aura un débat au sein de l'ANC, sur la Haute Instance des élections qui auront lieu au plus tard, l'été prochain ». De même la commission des libertés au sein de l'ANC a discuté l'article proposé par le Réseau Lam Echaml consacré à la liberté académique.
Frustrations et inégalités
Henda Gafsi, présidente de l'Association Tunisienne des Urbanistes (ATU), qui existe depuis trente ans, a précisé que son association s'est « résolument positionnée à apporter sa contribution pour la démocratie locale participative, la gouvernance urbaine démocratique et la constitutionnalisation des droits dans la ville et des droits de la ville ». Un travail concret a été effectué avec des communes du Cap Bon. Depuis quelques mois, l'association travaille sur la constitutionnalisation des droits à la ville et dans la ville. « Le 23 avril une réunion importante a eu lieu au sein de la commission des collectivités locales. Ses membres nous ont demandé de développer la notion de droit à une ville viable », dit la conférencière. Elle rappelle que la flamme de la Révolution a pris sa source dans la fracture urbaine et dans la marginalisation de la jeunesse. Elle a été attisée par l'accumulation de frustrations et d'inégalités sociales et spatiales. Malgré les réalisations ayant contribué à améliorer globalement les indicateurs de développement urbain, la réalité a été tout autre et ce fut le réveil brutal violemment manifesté et une irruption d'explosion des luttes sociales dès 2008 dans les villes de l'intérieur pour révéler, entre autres, l'absence de liberté d'expression, le chômage et la pauvreté, les disparités régionales et intra-régionales… « C'est pourquoi, il nous a semblé important de travailler pour inclure le droit à des villes viables dans la nouvelle Constitution », dit-elle. Le droit à la ville implique « le développement de politiques urbaines dont les objectifs sont la construction d'une ville intégrée, partagée, digne, équitable, juste, pacifique, solidaire et citoyenne » disait en 1968 Henri Lefebvre. Henda Gafsi souhaite que « la Constitution tunisienne inclue une série d'obligations de l'Etat tunisien pour la mise en place de ce droit à la ville digne et viable pour tous et pour toutes sur l'ensemble du territoire national ». Le droit à des villes dignes et viables, suppose le droit au plein exercice de la citoyenneté dans la cité, le droit à l'habitat et aux espaces publics pour tous les habitants de la Nation (transport public accessible, les littéraux et plages non privatisés), les principes de durabilité, justice sociale, respect des différentes cultures urbaines et l'équilibre entre l'urbain et le rural… Elle pense que la nouvelle constitution « doit garantir l'application et l'exercice du Droit à la ville dans la planification et la gestion de la ville ». Ce droit sera développé dans une loi d'orientation du « statut de la ville » qui reconnaît la fonction sociale de la ville, établit les principes de la gestion démocratique de la ville et garantit la participation directe et représentative de tous les habitants dans la planification et la gouvernance des villes, régions, gouvernorats, communes et villages. L'autonomie des administrations publiques locales doit être renforcée. La discrimination positive doit être de mise pour l'ensemble des groupes vulnérables. « Ces principes doivent être inscrits dans le Droit de l'urbanisme et dans les codes des collectivités locales, de l'environnement, du patrimoine.. », dit-elle. Elle propose l'élargissement du pouvoir de décision des collectivités locales et la création de conseils de quartiers qui soient indépendants. Elle appelle à mettre fin aux pratiques prédatrices visant l'accaparement du sol urbain, de ses ressources naturelles, de son patrimoine, de ses paysages et de ses espaces publics. Des mécanismes anti-corruption doivent être mis en place. Les municipalités responsables du développement économique et social de leurs villes doivent disposer des moyens de façon à accomplir les tâches qui leur sont dévolues. L'inclusion de ces droits dans la Constitution, les rend exigibles.
Principe de précaution
Zakia El Khattabi, sénatrice verte en Belgique, précise « qu'indépendamment de l'inscription de question environnementale dans la Constitution, il faut utiliser les autres mécanismes ». En Belgique, tous les 4 ans un plan cadre est établi sur la base de 5 principes de bases : l'équité intergénérationnelle, l'intégration des composantes du développement durable dans le processus de développement, la responsabilité commune mais différenciée des Etats, le principe de participation et de bonne gouvernance et le principe de précaution. En 2007, un article de la Constitution a été modifié pour intégrer le souci écologique. Ce n'est qu'une première avancée. Vingt ans après le Sommet de Rio de Janeiro, le bilan reste mitigé. Elle propose l'instauration d'un médiateur en matière de développement durable. Elle déplore que la volonté soit très limitée en Belgique et pense que la Tunisie a la chance de se pencher sur la rédaction de sa constitution, une occasion pour y inclure des avancées en matière de respect de l'environnement. Elle rappelle qu'il faut mettre un indicateur alternatif du PIB, pour mesurer le degré de bien-être. Va-t-on inclure tous les droits environnementaux dans la Constitution ? Deux écoles se disputent la vedette en matière de rédaction d'une Constitution. Une penche pour une constitution courte qui n'inclue que les principes fondamentaux, l'autre est pour une constitution longue qui introduit beaucoup de détails. Dans la version courte, son contenu peut n'avoir aucun impact sur le terrain. Dans la version longue, on peut s'éparpiller dans des débats interminables sur des questions qui ne sont pas tranchées. Ameur Lâarayedh, président du bureau politique d'Ennahdha considère que « la question de l'environnement est vitale à notre époque. En Tunisie nous sommes en train d'instituer un nouveau modèle de développement où le respect de l'environnement est un pilier fondamental ». Il rappelle que lorsqu'il était président de la Commission du règlement intérieur au sein de la Constituante, il a été entendu que l'une des commissions législatives traitera de la question de l'environnement. « Le respect de l'environnement doit être inclus dans la Constitution et la législation », dit-il. C'est un concept majeur dans la Constitution, insiste-t-il. Concernant le faible nombre de partis politiques s'intéressant à l'environnement, Ameur Lâarayedh, dira que « c'est une question de conscience. Tout est nouveau pour le moment : démocratie, constitution, environnement »…Le respect de l'environnement fait partie des droits de l'Homme.