Par Khaled GUEZMIR - Au moment où l'Assemblée Constituante s'apprête à engager les débats, les vrais, qui ont justifié sa propre élection et qui lui ont donné sa vocation à savoir la confection d'une Constitution la 4ème de notre histoire depuis Carthage, il faut avoir à l'esprit ce qui s'est passé exactement entre le mois de décembre 1955 et le 1er juin 1959. En effet, il a fallu plus de trois ans et demi à la constituante de l'indépendance et plus d'un revirement pour déboucher sur la constitution de la première République tunisienne des temps modernes. C'est qu'au départ entre la proclamation de l'Autonomie interne et celle de la République, en juillet 1957, l'intention des constituants était bien d'instituer une monarchie constitutionnelle avec un régime plutôt parlementaire à l'anglaise ou à l'espagnole. N'oublions pas que le leader Habib Bourguiba n'était à l'époque que le Premier ministre du Bey Lamine. Puis l'appétit vient en mangeant, l'ambition ascendante des élites du Néo-Destour, nouveau parti majoritaire dominant d'une part, et le déclassement de la Monarchie d'autre part, ont poussé à cette accélération qui a donné la prééminence à la République qui fut proclamée avant même l'adoption de la Constitution elle-même, ce qui a fait dire à certains politistes de l'époque qu'il y a bien eu « coup de force » à la limite de la légitimité constitutionnelle dans ce changement radical du système politique. Le Bey déposé cavalièrement et sous garde prétorienne, le nouveau régime ascendant, prenait les rênes du pouvoir et du coup, nouveau virage vers le présidentialisme monarchique que nous avons connu pendant toute cette période jusqu'à la Révolution du 14 janvier 2011. Une analyse du contenu de la Constitution de 1959 montre à quel point le déséquilibre était flagrant entre les trois pouvoirs, législatif – exécutif – et judiciaire, aussi bien quantitativement que qualitativement. La prééminence et l'ascendance est donné au Président de la République qui est en même temps le chef du gouvernement sans aucun contre-poids ni contre-pouvoir. En fait, les cinquante dernières années ont été celle d'un régime présidentialiste absolu qu'Edward Shils, le politologue américain désignait, à juste titre, par cette dénomination merveilleuse de vérité : « La démocratie sous tutelle ». Tout le système était sous la tutelle du Président et l'Etat constitutionnellement était bien « lui » et rien d'autre ! Les grandes vertus de Bourguiba, grand militant pour la liberté, bâtisseur de la Tunisie moderne, en plus, de son sens de l'économie, dans la dépense, on dit qu'il ne savait même pas compter l'argent et n'en faisait jamais grand cas, ont limité un peu les dégâts et les effets collatéraux de ce système constitutionnel sultanique fait sur mesure. Mais, à la première « alternance » « médicale » et musclée et avec l'arrivée de Ben Ali au pouvoir, le système constitutionnel a légitimé, naturellement, les dérives que tout le monde connaît parce que la vertu n'est jamais la chose la mieux partagée chez les Présidents du tiers-monde et Bourguiba n'aura été que l'exception lumineuse dans ce magma des dirigeants corrompus du monde arabo-musulman. Par cette introduction historique nous avons voulu éclairer nos amis lecteurs sur les défis majeurs qui nous attendent et les dérapages qui doivent être évités au moment où un nouveau pôle ascendant est au pouvoir et peut être poussé par ses élites ambitieuses à l'image de celles du Néo-Destour il y a 55 ans, à se donner les moyens constitutionnels pour s'assurer le contrôle social tout entier dans les années à venir ! A suivre… !