• Et le prédicateur dit : «il n'est ni Youssef, ni Seddik» S'il ne s'agissait que d'une vidéo qui circulerait et se partagerait dans l'immensité de la Toile, je n'aurais jamais décidé d'en faire le sujet de cette chronique. Mais il s'agit bien d'un sermon dans une mosquée dans la bonne ville de Msaken, clamé par l'un des ténors les plus écoutés du courant salafiste, M.Bechir Belhassen. La harangue qui se disait donc religieuse était consacrée entièrement à un individu, ma modeste personne. Un arsenal monstrueux de propos et de délires se voulant érudits, le tout tissé dans un discours dont la seule cohérence en faisait un appel au meurtre. Car devant un pieux auditoire, respectant un silence religieux, le tribun représentant de Dieu sur Terre a commencé par décortiquer mon nom et prénom, décrétant que je ne suis « ni Youssef, ni Seddik », jouant sur le fait que je ne méritais pas un prénom aussi prestigieusement biblique et coranique, ni (à son grand dépit) ce Seddik qui signifie le Très-Véridique et que j'ai en commun avec un prophète des Fils d'Israël et un compagnon du Prophète de l'islam. Que l'homme ait joué sur ces deux mots qui forment mon identité n'a rien de grave, au fond. Le plus dangereux c'est qu'il s'en prend à une émission télévisuelle dont j'étais, il y a quelques jours, l'invité pour faire valoir un fatras de culture entièrement wahabite, m'insultant dans le plus odieux langage de rue. Jugez plutôt : « Maudit soit-il, lui comme ceux qui l'ont engendré !... » (Lé khayra fihi, howa ou illi jabouh…). Ou alors : « Amenez-le moi, celui-là, nous allons jouer au ballon avec… » (Hatou houli, hedha, inkawrou bih…). Le pays est désormais coupé en trois morceaux inégaux; d'un côté, et au sommet des pouvoirs, des islamistes au discours « propre » quand bien même on le trouverait contestable. Ils sont minoritaires comme toute l'élite dans un pays neuf. Le deuxième morceau de ce « camembert » de l'état du politique depuis la Révolution et la prise du pouvoir d'Ennahdha est formé par une autre soi-disant élite, d'idéologues stricts, intransigeants, à la tête bien pleine, captivant une multitude d'adeptes en uniforme faits de pilosité et de friperies attribuées, jure-t-on, aux habitants de La Mecque du 7ème siècle. Enfin, le restant de la population en âge de comprendre ou de voter et qui regarde le paysage politique ainsi transmuté, tous animés soit d'une peur panique qui les fera tôt ou tard fuir dans l'esseulement ou l'exil, soit par ceux qui trouveront, tôt ou tard, leur intérêt ou leur sécurité dans le seul choix qui reste : rejoindre le troupeau des Moutons de Panurge. Devant l'agonie de la formule de la « troïka » qui a semblé tenir, avant le vote du 23 Octobre, d'une équation d'alliance équilibrée; devant le laxisme dont fait preuve l'exécutif, dominé par le parti de M.Rached Ghannouchi, face aux exactions, démesures, provocations et atteintes à la paix civile dont font preuve tous les jours les salafistes, toutes obédiences confondues;dans cette tourmente que vit la Tunisie actuelle, je dois envier l'auditoire de ce français de Clémenceau face aux députés de son pays, vivant en ce début du siècle dernier (1902), une tourmente quasi-identique. Ecoutons-le et réfléchissons à tirer le meilleur pour notre pays à nous de cette réflexion que voici : « La supériorité de notre cause, c'est qu''elle fera par la liberté faillible, ce que vous n'avez pas pu faire par l'autorité infaillible. Nous fonderons la paix civile, qui est le but suprême, sur la tolérance des esprits, sur la justice des lois, sur l'agrandissement de la personne humaine. La paix, c'est nous qui vous l'offrons, non pas la paix de domination pour les uns et de servitude pour les autres, mais la paix de la France, la paix des consciences libérées, la paix du droit égalitaire qui veut pour tous les hommes toute la plénitude de la vie.»