Maintenant que l'ACT a été purgée, le syndicat des producteurs partiellement rénové, l'association des réalisateurs fondée, le syndicat des techniciens dynamisé, il y a lieu de se poser la question de l'apport de ces structures anciennes et nouvelles à une cinématographie nationale groggy par des années de luttes intestines. Au lendemain de la Révolution, démocrates, opportunistes, légitimistes, maximalistes et fumistes se sont livrés à des batailles pour le pouvoir, incontestablement légitimes au regard d'un état de liberté recouvrée mais d'une violence telle que les fractures qu'elles auront provoquées ne vont pas se résorber de sitôt. Les remous suscités par les résultats de la dernière commission d'aide à la production, les premières fissures dans les bureaux « légitimes » des associations nouvellement créées et surtout l'immobilisme de certaines structures dépourvues de programmes et de projets ont de quoi inquiéter. Le même scénario de la désunion et des coquilles vides semble se reproduire à l'identique, mais à une échelle plus large à la faveur de la multiplication des acteurs.
L'apaisement relatif que connaît le secteur constitue le moment idéal pour cet embryon de « société civile cinématographique » de se penser en tant que communauté, et d'agir dans des logiques unitaires en dépassant les corporatismes. Espérons !
Loin de ces guéguerres interminables, parfois à la marge de la marge, des cinéastes ont tissé leur toile en nous proposant des œuvres que personne n'attendait. Du côté du documentaire autoproduit, le travail de Rafik Omrani, Ridha Tlili , Abdallah Yahia nous ont gratifié de films dont la puissance en tant que document brut sur la révolution s'est conjuguée à un souci de la forme. Ce dynamisme des marges n'est pas une conséquence du 14 Janvier. Il s'origine dans un mouvement spontané, inorganisé dont le déclencheur a été le désir chez plusieurs jeunes cinéastes de faire des films à tout prix. Ayant fait le deuil des subventions du ministère, des réalisateurs (issus pour leur immense majorité d'écoles tunisiennes de formation) sont passés à l'acte avec à la clef des films qui ont sauvé l'image ternie d'un cinéma établi essoufflé et sans idées. C'est en l'absence de toute structure organisée que des aventuriers ont pu imposer les propositions de cinéma les plus intéressantes de ces dernières années. Logique paradoxale quand on voit le surinvestissement de certains professionnels du cinéma dans des luttes stériles pour le pouvoir dans des structures associatives ou corporatistes.
C'est sur cette distorsion entre une anarchie créatrice et un activisme purement instrumental qu'il incombe de réfléchir afin de projeter le cinéma tunisien dans des lendemains meilleurs.