Les Rencontres cinématographiques de Béjaia ne sont pas compétitives encore moins consacrées à un format. S'y retrouvent des courts-métrages, des Documentaires et des longs-métrages de Fiction. La programmation est toujours arrivée à trouver un compromis intelligent entre actualité du jeune cinéma maghrébin indépendant, un cinéma français et de l'émigration maghrébine et un focus sur l'œuvre d'un réalisateur de premier plan. Depuis quelques sessions les cases consacrées à des formes cinématographiques inclassables dans les catégories traditionnelles se sont multipliées. Cette souplesse dans la programmation traduit le souci des organisateurs de faire des Rencontres un moment où on découvre des pépites sorties d'on ne sait où.
Pépites du festival Parmi les découvertes de cette année, deux films difficilement catégorisables : « Nada a ver » ( rien à voir) de Florence Bresson et Lily Goncalves et « Bir d'eau » de Djamil Belloucif. « Nada a ver » est le fruit d'une expérience folle menée par deux copines dans une prison de haute sécurité brésilienne avec des détenus condamnés à de très lourdes peines. Une des réalisatrices issues du théâtre , Lily Goncalves décide d'animer un atelier de théâtre avec des prisonniers, cette expérience dure deux ans en dépit de tous les obstacles rencontrés par les prisonniers participant à cet atelier. L'idée de réaliser un documentaire sur la vie quotidienne dans cette prison commence à germer, mais très vite les réalisatrices décident d'y intégrer des éléments de la comédie musicale préparée avec les prisonniers. Le résultat est frappant, on entre dans le film comme dans un documentaire pour voir les personnages évoluer en personnages de fiction puis en héros de comédie musicale pour déboucher de nouveau sur le documentaire. Ce mélange des genres entretient une douce confusion quant à la réalité ou au caractère fabriqué de ce que l'on voit. Se produit au fil des minutes comme un enchantement de ce lieu d'enfermement transformé par la grâce du cinéma en un espace de liberté (provisoire cela va sans dire). « Bir d'eau » de Djamil Belloucif est un faux documentaire consacré aux sept cents mètres de la rue qui l'a vu naître et grandir, la rue « Burdeau » à Alger, arabisée en « Bir d'eau » par les algérois. Une caméra tremblotante démarre aléatoirement d'un point de la rue et évolue au hasard des rencontres avec des algérois. Ces rencontres constituent autant de stations dans le film au cours desquelles se créent des situations où la bonhomie des algérois a toute la latitude pour s'exprimer. Il y est question de paysage à travers cette discussion entre un urbaniste et son ami promoteur, de foot-amateur lors de la discussion avec ce défenseur vedette d'une équipe de sport et travail qui adore tellement tacler qu'il n'hésiterait pas à tacler sa mère si elle jouait contre lui. Des « hittistes » diplômés, haranguent le réalisateur et sa caméra intrusive. On rit à gorge déployée dans un film où le paysage est un prétexte et l'hommage à l'humour des algérois le sujet central. Les situations sont bluffantes, on croit de bout en bout en la réalité des situations entièrement mises en scène selon le producteur du film.
Histoire et mémoire La mémoire, l'histoire et sa représentation ont constitué les sujets de plusieurs films présentés cette année à Béjaia. Histoires familiales, destins individuels, films témoignages, on décèle dans cette profusion de films toute la pesanteur d'un passé proche ou lointain avec lequel les cinéastes n'ont pas fini de régler leurs comptes. Deux propositions aux antipodes émergent du lot. « La guerre est proche » de Claire Angelini et « Octobre à Paris » dont les réalisateurs sont anonymes. Claire Angelini entreprend avec « la guerre est proche » d'explorer un lieu qui a servi de camp d'internement à des « indésirables » de 1939 à 2007. Républicains espagnols, émigrés clandestins, cet espace aujourd'hui abandonné recèle en ces ruines des histoires, des douleurs. Le parti-pris de la réalisatrice a été d'éviter tout reconstitution en travaillant sur le camp d'internement tel qu'il se présente aujourd'hui par le biais d'images très statiques. La bande-son dynamique est ce qui permet dans le film d'insuffler de la vie à ces images, le spectateur se trouvant dans la position de reconstituer par son imaginaire ce qui a été de l'architecture et des hommes qui sont à un moment passés par ces lieux. A travers ce dispositif à lisière de l'expérimentation, Claire Angelini lance des pistes inédites et stimulantes dans une réflexion toujours d'actualité sur la représentation de l'histoire au cinéma. « Octobre à Paris » est un document d'une importance cruciale pour comprendre l'ampleur de la répression qui s'est abattue sur les Algériens, peu avant, pendant et juste après la manifestation du 17 Octobre 1961, au cours de laquelle quatre cents manifestants pacifiques algériens ont trouvé la mort par les mains de la police française. Produit par un collectif de militants anticolonialistes, dont le grand historien Pierre-Vidal-Nacquet et le célèbre mathématicien Laurent Schwartz, « Octobre à Paris » enquête sur les ratonnades des Harkis conte leurs coreligionnaires à Paris, les conditions de vie inhumaines dans les bidonvilles de Nanterre et la sauvagerie de la répression des forces de l'ordre françaises lors de la manifestation du 17 Octobre 1961.
Interdit par la censure française durant des décennies, puis bloqué par un des ayants droit, ce film ressort cinquante ans après sa réalisation pour témoigner sur un des plus importants crimes d'Etat perpétrés sur le sol français.