Mohsen appelé communément « Marcel » par ses amis du Sud-Ouest allemand et originaire d'un petit village de la périphérie de Sousse me reçoit dans son « garage » à ciel ouvert à Lörach, à mi distance de la frontière suisse et française, de Bale et de Strasbourg. En fait il loue une petite ferme de 1 hectare et son magnifique bureau n'est rien d'autre que sa caravane et son business, comme vous l'avez deviné, c'est l'achat et la vente des voitures d'occasion.
- Alors « Marcel » comment vont les affaires ?
- « C'est plutôt morose avec la crise de l'automobile en France, mais « hamdoullah », j'ai pu écouler quelques grosses cylindrées vers la Pologne et la Russie... Vous savez ces Russes sont bourrés de fric et ils n'achètent que les « Mercedes » et les 4X4 du genre « Touareg »... en plus ils paient cash en espèces ».
- Alors tu auras des provisions pour l'aïd !
- J'ai hâte de rentrer, j'ai eu une année très dure, le Boujaâfar et Monastir me manquent, en plus ma nièce va se marier après l'aïd, me dit-il.
- Alors comment tu vois les choses ?
- Un soupir et un silence, puis il me répond : « Moi je suis bourguibiste... C'est notre père. Les Allemands... les Suisses... les Français... les Italiens, mes clients, ne connaissent des hommes politiques tunisiens que lui. Ils le respectent pour sa culture et parce que c'est l'ami de l'Occident. Avec lui on nous a accueilli à bras ouverts... Il nous a ouvert grandes les portes de l'Europe... Quand je vois qu'on traite aujourd'hui Bourguiba, le leader, de mécréant « Kafer », j'ai honte et j'en souffre. Bourguiba est un bon musulman, ouvert sur la modernité et il a eu le courage d'interpréter les textes sacrés pour les adapter au monde moderne, comme l'ont fait les chrétiens de la Renaissance. Il a construit des centaines de Mosquées et celle où prêche le ministre des Affaires religieuses en plein Tunis, a été bâtie par lui... Alors dire que Bourguiba est un « Kafer » c'est un misérable mensonge de politiciens ! » (fin de citation).
- Mais il n'a pas construit la démocratie !
- « C'est vrai... mais à l'indépendance, il y avait tant de choses à faire... il est parti de rien et son bilan est largement positif. Puis bon... s'il a été autoritaire, c'est pour éviter l'insécurité et les luttes tribales, (Al Aarouchiya) mais Bourguiba n'a rien volé, et même sa maison il l'a donnée à la Commune de Monastir... Ce qui le critiquent sévèrement doivent être un peu plus modestes... qu'ils nous montrent eux ce dont ils sont capables... la critique est aisée... l'art est difficile et même la démocratie... ils n'en veulent pas... comme tous les dirigeants arabes et musulmans ». (fin de citation).
Dans l'esprit de Mohsen (Marcel) et de ses amis de l'émigration, ce n'est pas l'Islam qui s'oppose à la démocratie, mais ce sont les gouvernants. Comme la démocratie chrétienne, on peut établir une démocratie islamique, mais les gouvernements ne veulent pas faire une lecture moderne de l'Islam et une fois au pouvoir, ils sont bien heureux d'y rester ! (Al korsi, yerabbiou aâlih el kebda) – fin de citation –
Le bon sens et le pragmatisme du « peuple » émigré dénote une sagesse profonde née dans la souffrance et l'effort immense d'adaptation qu'ils ont fournis pour trouver une place au soleil en Occident. Finalement ils aboutissent par cette expérience unique de la vie émigrée, aux mêmes conclusions qu'un Locke ou un Montesquieu. Sans la volonté des acteurs politiques, les institutions, même les plus belles, peuvent rester figées, c'est ce que les théoriciens de la politique appellent : « la démocratie sous tutelle », c'est-à-dire sous contrôle de fait de l'exécutif et des gouvernements en place.
Je reviens un moment à Marcel et juste avant de le quitter...
- Alors vous voterez qui la prochaine fois » !
- «Vous savez, je ne suis pas très branché sur la politique... Les hommes honnêtes la boudent et ils ont raison... mais je suis impressionné par Si Béji Caid Essebsi... quelle énergie à son âge... il a le sens de l'honneur et il n'a pas renié les acquis de Bourguiba... ma sœur m'a téléphoné après son appel de Monastir... elle avait les larmes aux yeux... il lui rappelle le Zaïm... et puis c'est le seul qui a fait des élections honnêtes et il a remis les clefs du gouvernement à Si Jebali... J'aimerais bien que les autres en fassent autant aux prochaines élections... Rabi yehdi, we kadder el khir... Tounès méziana... Tounès Jannah » !
Voilà, sur cette prière, je prends congé de « Marcel » qui m'a invité cordialement au mariage de sa famille... Pourquoi pas... Sousse la fille d'Hadrumète et sa mer bleue azur et christalline le vaut bien !