Nous continuons à prendre les sentiers de l'émigration en Europe pour bavarder en toute décontraction avec nos compatriotes de l'ombre et sonder leurs attitudes et leurs sentiments sur ce qui se passe dans leur pays d'origine après la Révolution du Jasmin. Nos investigations ont pour objectif de comprendre un peu la psychologie du peuple « émigré » et comment il peut concilier sa pratique de la vie quotidienne en Occident, y compris, celle relative aux mécanismes de la démocratie et de la participation politique et son aspiration non seulement à préserver son identité arabo-musulmane, mais à diffuser l'Islam politique, qui n'est pas toujours protecteur et respectueux des valeurs démocratiques de ce même Occident. Dossier ardu, sujet aux interprétations les plus partisanes et les plus engagées, mais qu'on ne peut occulter au nom de la complaisance ou de la complicité bienveillante. C'est à Mulhouse cité alsacienne à forte population émigrée que je rencontre à la « FNAC » de la Rue piétonne le jeune Mourad, aide comptable qui s'apprête à renter bientôt au pays avant l'aïd « inchallah ». Il commence par me demander des nouvelles de la sécurité du tourisme et de l'économie, je le rassure... mais j'avais hâte de connaître sa propre évaluation « à distance » ainsi que celle de ses potes établis en France. « La Révolution nous a procuré un bonheur immense... on est fier de rééxister à nouveau et d'accéder à la citoyenneté véritable comme celle des Européens... Regardez, ici, ce sont les citoyens qui possèdent l'Etat... Même la fortune a une fonction sociale. Vous pouvez passer à côté d'un milliardaire français ou Allemand sans jamais le reconnaître... il vit comme tout le monde, sans l'arrogance des riches de chez nous, et dans le monde arabe. C'est l'Etat de droit, où chacun a ses droits mais aussi ses devoirs ... » Silence, puis je le taquine : Mais alors puisque cette société vous plaît, pourquoi tenez vous à la changer par la diffusion et la mobilisation de l'Islam politique qui contredit ses valeurs comme c'est le cas en Iran, en Syrie ou même en Arabie ! Je pousse encore un petit peu plus la « provocation »... Mourad, pourquoi voulez vous exporter l'Islam politique en Europe et en Tunisie alors que le modèle de la démocratie islamique est encore au stade de l'expérimentation... et je vais plus loin, vous Mourad, acceptez vous de vivre dans une société comme celle du Soudan ou d'Iran ! - Mourad résiste... « Ce que nous voulons, c'est une véritable démocratie à l'occidentale avec toutes les libertés publiques et privées, mais corrigée par l'apport de la solidarité islamique... L'Islam protège contre l'individualisme excessif de la société occidentale et un certain « égoïsme » « de fait », et il ajoute : « mais à choisir entre une société islamique rétrograde et fanatisée et le libéralisme individualiste de l'Occident... il n'y a pas photo, je choisirai le second modèle » ! (fin de citation) Cette petite discussion qu'on a terminée à la Rue du « Sauveur » au café glacier de la belle place de Mulhouse, malgré son caractère peu savant, est indicative des flux et reflux, des vagues, qui habitent nos compatriotes d'Europe. Autant ils sont attachés à l'Islam comme culture de solidarité et d'humanité fraternelle, autant ils ne veulent rien lâcher côté valeurs des démocraties occidentales surtout quand il s'agit des libertés et des droits de l'Homme. Mais est-il possible d'espérer concrètement, la réalisation de ce vœu et de bâtir un système réellement démocratique en Tunisie avec les islamistes au pouvoir.. ! Là les avis sont très partagés et Mourad n'est pas encore au bout de ses attentes, ni de ses peines ! (A suivre)